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Évangile selon saint Matthieu

Mt 1, 18-24 : Prendre chez soi!

Joseph est un homme ajusté à son flair de Dieu! Que lui est-il demandé pour demeurer dans la note juste? Plusieurs fois la même chose : prendre chez lui ce qui vient de Dieu. 

Joseph est de la lignée d'Abraham qui, sans savoir où il allait, est parti après avoir pris chez lui une Parole entendue. Joseph, comme Abraham, apprend à ses dépens que le souffle vient de Dieu. Dans tout engendrement il y a de nous et de Dieu. Dieu donne le souffle, nous offrons la fragilité de la chair.

Mathieu redit ce même message dans la parabole qu'est la semence. Prendre chez soi, avec soi, c'est le sens du verbe «com-prendre» ! Le germe est donné, encore faut-il une terre qui prenne chez elle la semence jusqu'à ce qu'elle donne son fruit, en temps voulu. Écouter vraiment, c'est entendre et comprendre, c'est prendre avec soi, donc se laisser affecter en profondeur!

Les belles histoires de fécondité ont ainsi commencé. Une personne a entendu une parole venue d'ailleurs, l'a prise chez elle, même si c'était loin d'être évident. Ainsi Jean Vanier, à la suite d'un appel, a pris chez lui une première personne handicapée... et le fruit produit sauve encore des personnes : Foyers de l'Arche, Foi et partage, Foi et lumière. Angèle Merici aussi a pris chez elle un appel entendu et, au bout de plusieurs années d'attente, est née la nouvelle Compagnie qui, au cours des siècles, aide sûrement des personnes à respirer au large!

Ne crains donc pas de prendre chez toi ce qui vient du Souffle saint! Avec Joseph, tu verras ou bien d'autres verront, car le fruit sauveur arrivera en son temps.

Mt 2, 1-12 : Une étoile!

Les Sages venus d'Orient sont de la lignée des croyants. Le cœur pur, ils déchiffrent dans la nature un signe qui les appelle à prendre la route sans savoir où aboutiront leurs pas. Comme Abraham autrefois et comme tant d'autres...

Une étoile, de tout son scintillement, leur parle d'un ailleurs à découvrir. Et ils partent, chargés de présents dignes d'un roi comme ils se l'imaginent! Normalement, ce roi doit être de la descendance de celui déjà en place à Jérusalem. Ils ont donc raison d'arrêter chez Hérode, alors roi des Juifs, qui consulte les grands prêtres et tous les scribes d'Israël. Informés du lieu où, selon les Écritures, naîtra le roi à venir et avec la demande piégée d'Hérode, ils reprennent, pèlerins joyeux, leur marche les yeux rivés sur leur bonne étoile. Fidèle étoile qui les conduit tout près d'un enfant et de sa mère.

J'emprunte les yeux de Joseph pour voir entrer dans la maison ces mystérieux grands savants. Ils se prosternent devant l'enfant! Un roi, cet enfant né d'un couple tellement ordinaire? Roi sans trône, sans gardes du corps, sans vêtements d'apparat! Que fera-t-il des présents déposés à ses pieds? Ça brille, ça sent bon mais ça lui convient si peu!

Dans le cœur des mages, tout bascule. L'étoile d'amour les a guidés vers cet ailleurs qu'ils ignoraient pour leur faire pressentir un autrement! Ils ne peuvent retourner par le même chemin, un tout autre itinéraire les appelle du dedans. Ce qu'ils ne savent pas, c'est que l'enfant qu'ils viennent d'adorer devra échapper au jaloux pouvoir d'Hérode. Il est en sursis, car un trône en forme de croix l'attend. Roi d'un royaume qui n'est pas de ce monde, il ne compte que sur un trop fragile pouvoir, celui de l'Amour qui vainc toute humaine sagesse! 

Mt 2, 1-12 : Par quel autre chemin?

Il arrive probablement à chaque personne, un jour ou l'autre, de changer son itinéraire. Pour de nombreuses raisons : tempête annoncée, route en réparation majeure, maladie ou message de dernière minute, instinct d'aventure ou de dépaysement...

Aujourd'hui, dans l'évangile, des sages venus d'Orient changent d'itinéraire pour retourner chez eux. Ils avaient pourtant entendu le roi Hérode leur demander de repasser par chez lui pour l'informer de l'endroit précis où était né le nouveau roi des Juifs... Comment ont-ils pu passer outre à l'exigence du roi d'Israël?

J'ai le sentiment qu'ils ont vécu un tourbillon intérieur. Ils sont venus avec des présents destinés à un «vrai» roi : de l'or, de l'encens et de la myrrhe! Mais l'étoile qu'ils ont fidèlement suivie les mène à un petit enfant tout près de ses parents, dans une maison bien ordinaire. Le nouveau roi des Juifs n'a ni trône, ni sceptre, ni gardes armés... rien de ce qu'ils ont imaginé comme allant de soi! Rien à voir avec Hérode! Il ne fallait pas qu'ils perdent la «très grande joie» éprouvée quand l'étoile «s'est arrêtée au-dessus du lieu où était l'enfant», ni le vif sentiment de profonde adoration qu'ils ont éprouvé en voyant cet enfant! Surtout : ne pas retourner par le même chemin!

Dignes fils d'Abraham, trois étrangers se laissent guider par une étoile sans savoir où les mènera ce signe de la nature. Ils offrent à un enfant de pauvres leur or, leur encens et leur myrrhe, des présents qui ne lui conviennent absolument pas. En échange, Jésus se donne à eux, nouvelle étoile sur la route qu'ils empruntent pour retourner chez eux sans savoir où les mènera cette «supernova»! Des mages, premiers disciples, avec Marie, Joseph et des bergers, à suivre Jésus dans la voie de l'amour! 

Mt 2, 1-12 : Un autre chemin...

Avons-nous déjà changé de chemin? Qu'est-ce qui nous amène à modifier le trajet de nos vies, à changer nos méthodes?

Revenue des études en théologie, j'espérais offrir la Bible à tous et nous aurions ainsi de bons chrétiens... Je sortais connaissances, caisses de bibles... Un jour, dans une salle remplie de gens de 7 à 90 ans, un homme ivre dérange tout le monde. Il déambule en criant : «Aimez-vous les uns les autres!»... Premier indice pour changer de méthode... La Parole d'avant la Bible était criée par le cœur du pauvre... Une autre fois, je vois une personne tenir sa bible la «tête en bas»... Elle ne sait pas lire. Deuxième appel à prendre un autre chemin... Que faire quand le message savant n'est pas le bon parce qu'il n'est pas compris? Et que les pauvres deviennent le message?

Un enfant couché près de ses parents chamboule les sages d'Orient. Ils retournent par un autre chemin. Pas un bébé de cire frisé, ni un enfant attifé en adulte, ni un bébé de publicité. Mais un bébé qui gazouille, qui pleure, qui tend les bras, tète, dérange la nuit, bouscule les habitudes. «J'avais dix principes, dit un proverbe, et je n'avais pas d'enfants, j'ai eu dix enfants et je n'ai plus de principes»!

Le Pape François serait-il l'étoile qui oriente nos pas vers les périphéries?... Là où sont les pauvres capables d'évangéliser les cœurs, là où sont les enfants, ceux des familles éclatées, ceux transformés en soldats, ceux absents des églises... pour leur offrir les présents royaux reçus de la vie... Encore faut-il avoir la simplicité de suivre l'étoile jusqu'au lieu de son choix... le courage de sortir, de se laisser toucher au point de ne plus soumettre ses décisions aux jeux du pouvoir! Sagesse nouvelle!

Mt 2. 1-12 : Par un autre chemin

Les mages, guidés par une étoile, sont venus à Bethléem. En route, ils sont arrêtés consulter le roi Hérode qui, lui-même, a tenu à interroger les chefs religieux sur le lieu de naissance du présumé roi des Juifs...

Ils apportaient des offrandes dignes d'un roi comme ils imaginaient un roi, mais ils ont trouvé un petit enfant avec sa mère. Curieusement, ils ont laissé leurs présents au pied de cet enfant, même s'ils ne lui convenaient absolument pas. Par quelle grâce ont-ils reconnu en lui un roi et, le cœur chamboulé, sont-ils retournés par un autre chemin?

En route, l'autre jour, j'imaginais les rois mages. Soudain, j'ai vu en cet épisode raconté par Mathieu une parabole de la difficile alliance entre la nature et la culture.

Les mages, intuitifs aux aguets des signes de la nature, sont partis sans savoir où ils allaient Après s'être arrêtés et avoir entendu le grand responsable de la vie politique puis les responsables religieux, ils ont poursuivi leur route jusqu'à la vue d'un enfant. Ils ont alors flairé les ruses dictées au roi Hérode par son goût du pouvoir et ils ont senti qu'ils devaient retourner par un autre chemin, celui qu'inspire la nature au cœur des marcheurs.

Puisse une étoile nous mener à l'enfant et à sa mère. Que leur vue nous persuade d'emprunter d'autres chemins plus en harmonie avec la nature. Patiente, la nature a ses lois; elle est puissance vive. Mais que d'innocence encore bafouée par la folie du pouvoir ou de l'argent qui exile la culture de la nature, dans le privé comme dans le public, dans le religieux comme dans le politique. 

Benoît Lacroix, dominicain nonagénaire, disait qu'avant de soumettre la nature il faut apprendre à lui obéir... Sagesse de mage?

Mt 2, 13-23 : Lève-toi, prends l'enfant et sa mère!

À peine Jésus est-il né que la violence risque de l'emporter avec les autres enfants de sa génération. Il faut sauver l'avenir du monde! Sauver même celui dont le nom signifie Sauveur!

À nouveau, un ange s'adresse à Joseph. Il lui demande, cette fois, de se lever, de prendre avec lui l'enfant et sa mère et de fuir devant le danger puis, celui-ci conjuré, de revenir dans son patelin pour que s'y installe le «Sauveur sauvé» et qu'il prenne racine en sa terre d'humanité.

J'ai vu, étonnée, dans les jardins de la paix au Japon, des monuments offerts par différents pays après les horreurs d' Hiroshima et de Nagasaki. Plusieurs de ces monuments représentent une femme qui fuit avec un ou des enfants.

Prendre l'enfant et sa mère, c'est donner toutes ses chances à la continuité de la vie; c'est «garder la vie vivante pour la prochaine éternité» ou «garder notre terre enceinte» comme disent les mots du chant SOS né des inondations du Saguenay il y a plusieurs années déjà. Quand arrivent les désastres, on prend avec soi les toutes jeunes pousses dans un peu de leur sol, plus quelques semences, on se lève  pour fuir vers un ailleurs, même étranger.

Joseph prend avec lui l'enfant et sa mère et il part. Pourtant l'enfant qu'il amène avec lui n'est qu'en sursis. La violence le rattrapera au détour. Mais il aura eu le temps de se faire habitant de Nazareth, d'en pénétrer la terre et d'y prendre racine pour donner des fruits qui pousseront en leur temps et donneront semences.

Que ce Noël nous donne d'accueillir les «semences du futur» et qu'elles puissent offrir leurs fleurs et leurs fruits tout au long de 2011 et encore après. Paix et Joie.

Mt 2, 13-15; 19-23 : Joseph aussi!

Je me réjouis que Pape François ait demandé d'ajouter aux prières eucharistiques le nom de Joseph à celui de Marie. Car Marie n'est pas une petite fille esseulée quand la féconde le souffle divin. Elle est fiancée, donc en alliance avec Joseph. Marie de l'Incarnation demande à son fils de ne pas séparer Marie et Joseph...Le songe qui lui montre la terre canadienne présente les deux.

Que de discours pour parler aux mères et des mères! Combien parlent aux pères et des pères? Le texte d'aujourd'hui offrirait-il l'occasion de mettre en belle lumière la paternité des hommes? Pères biologiques ou adoptifs, spirituels ou sociaux. La fonction paternelle ne se résume pas à la fécondation... pour entrer au pays de l'absence par la suite... Sa présence est vitale pour toute croissance harmonieuse. Le nom de Joseph, en hébreu, signifie «faire croître», d'où le beau nom d'autorité... de co-auteur... Il s'agit non de pouvoir mais d'autorité, d'une main offerte au quotidien pour de multiples alliances afin d'engendrer et de faire croître un monde plus humain

À Joseph, une même demande est adressée par trois fois: prendre chez lui la femme fécondée  et, en situation de danger, prendre l'enfant et sa mère, fuir l'oppression puis revenir...Quel contrat à vie! Prendre soin tout au long de sa croissance du fruit de nos alliances, le sauver de ceux qui tuent ou excluent par peur de perdre leur pouvoir puis partager un espace commun dans un environnement sécurisant : femme, homme, enfant.

Comment éveiller davantage les hommes, jeunes et adultes, à la belle vocation de pères inscrite dans leur être comme on rappelle souvent aux femmes qu'elles sont mères partout, toujours? Il doit sûrement y avoir un «instinct» de père chez les hommes! Serais-je influencée par les beaux souvenirs de mon papa?

Mt 3, 1-12 : Plus qu'un titre!

Un héritage est vite épuisé si on s'assoie dessus sans le faire fructifier. Ainsi peut même s'éteindre un nom de famille tel un arbre atteint dans ses racines.

Jean le Baptiste parle fort aujourd'hui à des gens assis sur leur titre d'enfants d'Abraham, plus difficiles à féconder qu'un vieux couple stérile. Ils risquent d'éteindre leur lignée spirituelle car, oublieux de leur origine, déjà ils ne portent plus les fruits de la promesse. Ils viennent se plonger dans l'eau mais n'expriment aucun désir de changer. Ils consomment un service sans s'offrir au Dieu de la fécondité qui a surpris leurs ancêtres : Abraham, Sarah.

Le baptiste garde sûrement, enregistré dans sa chair, le tressaillement ressenti dans le sein de sa mère, Élisabeth quand Marie, nouvellement enceinte, l’a visitée. Il n'aura de cesse que ceux et celles qui viennent à lui expérimentent, en présence de Jésus, cette rencontre d'amour qui chamboule tout l'être. Mais il ignore encore ce que ce bouleversement peut signifier de labourage intérieur quand il invite ses contemporains à plonger dans l'eau, à confesser leurs péchés pour revenir en bons termes avec Dieu. Il «intuitionne» pourtant une autre plongée où ils entendront Dieu confesser son amour et, en Jésus, les appeler ses fils, ses filles! Quel retournement!

Il ne s'agit pas pour nous qui nous disons chrétiens de nous asseoir sur l'amour reçu en héritage! Car « La loi est de porter fruit. Arbre noueux, percé de gel, cloué de cicatrices... vieilli..., que du moins sur quelques branches neuves verdisse la feuille et croisse le fruit! ...et le fruit... c'est le bon-à-manger. Qui nourrit son frère ou sa sœur, en toutes les formes de la faim, entre dans la seule Justice digne du Dieu qui est largeur du cœur et gémissement de tendresse des entrailles.» (Maurice Bellet)

Mt 3, 13-17 : Mon fils bien-aimé!»

Jamais cette parole n'avait été entendue aussi clairement! D'ailleurs, malheur à qui se serait dit fils de Dieu. On l'aurait accusé de blasphème et condamné à mort! Et pourtant, cette parole entendue par Jésus a fait basculer l'histoire: «Celui-ci est mon fils bien-aimé, en lui j'ai mis tout mon amour!» En effet, peu importe la croyance des peuples, notre calendrier nous situe par rapport à Jésus. Les événements prennent place avant ou après lui. Qui d'autre a eu autant d'influence durable?

Fils de Dieu depuis toujours, Jésus est dans la trentaine quand il entend cette parole inouïe qui le confirme dans son identité, l'investit d'une mission et qui servira de motif à sa condamnation.  La parole entendue par Jésus est toujours présente sur les ondes cherchant un cœur qui écoute. Heureuse la personne qui, comme Jésus, l'entend un jour et, bouleversée, reconnaît son origine et consent à naître chaque jour de l'Amour pour aimer jusqu'au bout. Car Jésus nous révèle qui nous sommes: fils, filles de l'Amour!

Nous pourrions bien être ou devenir un ex-prisonnier, une ex-religieuse ou un ex-conjoint, un ex-ceci ou une ex-cela, jamais nous ne serons des ex-enfants de Dieu! Personne ne peut nous enlever cette dignité originelle, notre véritable identité. Né-e-s de Dieu, sans cesse il «nous engendre du dedans».

Un jour, je demandais à des grands et arrière-grands-parents réunis s'ils avaient fini de mettre leurs enfants au monde. Émue aux larmes, une dame de 102 ans répond: «Non! J'ai un fils à Montréal qui se meurt du cancer et je le sens ici», dit-elle, touchant son ventre. Comme elle ressemblait au Bon Dieu dont les «entrailles frémissent comme un cithare», dit Isaïe. Son fils avait 80 ans! Et Dieu aurait fini de nous mettre au monde! 

Mt 4, 1-11 : Après 40 jours de jeûne...

Confirmé dans son identité de fils par le Père, Jésus est poussé au désert par le souffle Saint qui l'habite. Être mis au monde, avouons-le, n'est-ce pas être poussé dans un long désert à traverser sans voir la terre qui nous est promise? Après quarante jours au désert, Jésus eut faim.  Et le tentateur s'est approché pour lui demander de faire que des pierres deviennent du pain, puisqu'il était Fils de Dieu.

Je me souviens avoir demandé, dans un groupe de Bayonne, de quoi Jésus pouvait-il avoir jeûné pour répondre non et affirmer que l'homme ne vit pas seulement de pain mais aussi de parole. Un homme m'a immédiatement répondu: de relation!

Après avoir consenti à observer, j'ai compris quel jeûne nous affame le plus dans la traversée de notre désert. J'ai vu une fillette de douze ans, hospitalisée après une tentative de suicide. Elle disait avoir tout ce qu'il faut chez elle mais qu'elle aimerait donc avoir un peu de temps pour parler avec papa et maman. J'ai vu un jeune garçon prendre rendez-vous et se présenter un jour au bureau de son père disant qu'il aimerait lui aussi avoir du temps avec lui. J'ai entendu une infirmière me parler d'un vieillard qui retombait malade dès qu'on lui disait qu'il était mieux, car il ne savait pas où aller en sortant de l'hôpital.

De quoi pouvons-nous donc jeûner pour en arriver à dire à notre façon qu'on ne vit pas seulement de ce qui nous tombe sous la main mais de parole partagée. Le diable sait bien cela et nous propose de combler notre soif de relations par la consommation pensant satisfaire ainsi nos faims et nos soifs les plus profondes... Ah! Le désert de relations! Et la dépendance des compensations! Un drame au quotidien!

Mt 4, 1-11 : Quelle solidarité

Accompagnons Jésus au désert, c'est bon pour l'espérance. Aussitôt confirmé fils bien-aimé par Dieu, Jésus est poussé au désert par le Souffle... Le désert : image d'une vie à traverser. Le chiffre 40 symbolise la durée historique d'une existence. Naître c'est être poussé dans le monde par le Souffle qui nous a tissés. Nous y avançons sans voir Dieu ni la terre promise. Mais loin d'être laissés à nous-mêmes, nous avons une boussole intérieure: la Parole. Comme en Jésus, elle garde la direction du lieu invisible qui nous attire.

Faire fi de notre boussole intérieure, c'est risquer de nous retrouver dans de regrettables impasses, comme Adam et Ève qui obéirent à une proposition venue de l'extérieur. Dès l'origine, notre cœur est fait pour désirer la vie plutôt que la mort. Humainement solidaires du premier couple, nous nous affolons parfois en flairant ces voix qui sollicitent de partout et qui ne mènent nulle part.

Heureusement, Jésus a expérimenté la traversée du désert. Prenant le temps d'y entendre les voix qui tentent de séduire, il a choisi d'écouter celle que murmurait la Parole gravée dans son cœur. Cette Parole inspira ses réponses spontanées aux appâts du diviseur... Saint Augustin, à l'ouverture du Carême, écrit pour commenter un psaume : «Si c'est en [Jésus] que nous sommes tentés, c'est en lui qui nous dominons le diable. Tu remarques que le Christ a été tenté, et tu ne remarques pas qu'il a vaincu? Reconnais que c'est toi qui es tenté en lui; et alors reconnais que c'est toi qui es vainqueur en lui.»

Nous qui partageons cette certitude d'être plus solidaires en Jésus qu'en Adam, comment traversons-nous notre désert? Est-ce en prêtant l'oreille aux mouvements de notre boussole pour choisir avec Jésus les chemins vers la Vie?

Mt 4, 12-23 : Venez avec moi!

Établi à Capharnaüm, Jésus prie ses contemporains de prendre avec lui la route de leur coeur car le germe d'un royaume de justice et de paix est sur le point d'éclore.  

Il commence donc par créer une cellule de ce royaume depuis longtemps en gestation. Marchant au bord du lac de Galilée, il appelle des pêcheurs à le suivre. Ce récit, souvent confisqué pour présenter les vocations particulières, révèle pourtant la vocation de toute personne: suivre Jésus dans la voie de l'amour. Toute autre vocation, secondaire par rapport à celle-là, est comme le «milieu» où telle personne pourra vivre au mieux selon sa nature profonde.

Des enfants ont dessiné cet appel des premiers disciples. Ils m'ont aidée à saisir à quelle conversion Jésus nous appelle. Au début du récit, nous voyons deux paires de frères séparées, ayant chacune son père, sa barque et ses filets. À la fin, cinq frères avancent ensemble. Quatre ont quitté leur père pour adopter le Père de Jésus et s'adopter aussi comme frères. Un même souffle anime les cinq frères.

À la place des poissons, ce sont des êtres humains, prisonniers des eaux profondes, qu'ils pêcheront désormais. Sans barques ni filets, comment le feront-ils ? Les enfants ont trouvé: ils plongeront! Voilà notre mission commune: plonger avec Jésus dans notre monde pour délier les êtres humains de leurs filets et les appeler à marcher ensemble dans la voie de l'amour.

Mt 4,12-23 : Jésus étoile et chemin

Jésus choisit d'habiter Capharnaüm, périphérie existentielle proverbiale! Ce pays de l'ombre, illuminé par la présence de Jésus, est devenu icône du royaume. L'étoile qui a guidé les mages va-t-elle nous conduire vers les périphéries? Notre cœur serait-il chatouillé... par les appels répétés du Pape François? Le Royaume serait-il proche?

Le signe d'un cœur touché : le retour par un autre chemin. Mais lequel? Quelle étoile suivre pour pénétrer dans Capharnaüm, cette «crèche» permanente des pauvretés humaines habitée par une Présence que ne soupçonnent guère des gens trop imbus d'eux-mêmes, confortés dans leurs croyances! Ne craignons pas, Jésus déblaie un chemin neuf au bord des eaux. Il nous voit, hommes et femmes, dans des barques fragiles, séparées les unes des autres, petits clans de sauve-qui-peut pour s'arracher un pain quotidien. Il nous voit, nous appelle par notre nom. Son regard a tout pour séduire sur-le-champ, nous attacher à lui jusqu' à laisser nos sécurités et plonger avec lui dans l'insondable profondeur des eaux pour être avec lui pêcheurs/pêcheuses d'humanité.

Être du royaume annoncé par Jésus, c'est d'abord nous laisser adopter par son Père et nous adopter mutuellement comme frères/sœurs. Dans l'évangile d'aujourd'hui, de deux paires de frères séparés, Jésus fait, avec lui, une communauté de cinq frères! Bien sûr, ce sillage est très différent des voies à sens unique réservées pour petits groupes d'initiés, mais isolés par les liens étroits de chair et de sang, de lois et de traditions!

Jésus vient de chez Dieu avec, au cœur, la certitude brûlante qu'en suivant sa Loi d'amour, étoile qui clignote en nos cœurs, nous, êtres humains tant aimés par son Père, nous serions les plus heureux. Il l'a vu, lui, Dieu et son royaume! Puis-je faire confiance à ce témoin privilégié? Habiter Capharnaüm avec lui?

Mt 5, 1-12a : En marche!

Comment demeurer libres et en marche dans notre traversée du désert? Il est si facile de nous laisser entamer! Jésus ne s'est laissé arrêter par rien. Il a passé «outre à tous les empêchements d'aimer». Quel est donc son secret?

Son secret? Se fier à sa Source! Le ruisseau est une soif, une pauvreté radicale, car il se reçoit constamment de la source qui «ne vend pas son eau» et ne gèle pas en hiver. Sa richesse est faite de l'eau qui passe en lui. Vouloir la retenir serait la perdre. Heureux le ruisseau qui se fie à sa source quand vient l'hiver et ses tempêtes, l'eau de la source est en lui et l'engendre sous la glace qui l'habille. Heureux le ruisseau qui se fie encore à sa source pour retrouver au printemps sa limpide pureté.

La première béatitude est peut-être la clé ou l'attitude fondamentale à développer pour tenir debout et libres dans les différentes situations de nos vies. Alors que les autres béatitudes nous annoncent une promesse au futur, la première comme la dernière nous présentent la promesse au présent. Heureux qui se fie à sa Source pour, en avançant, devenir doux, juste, pur, miséricordieux, artisan de paix, car l'eau de la Source sera toujours en lui.

Quand Matthieu écrit, les premiers chrétiens, persécutés, expérimentent au présent la vérité de la première béatitude: sûrs de La Présence, ils repartent joyeux.

Marie de l'Incarnation présente à son fils le Sermon sur la montagne comme un bastion. Elle prie souvent le psaume:  «Je sais en qui j'ai mis ma confiance, je ne serai pas confondue»! Le film LES HOMMES ET LES DIEUX illustre le dur combat à mener pour vivre la première béatitude et pouvoir ainsi aimer jusqu'au bout comme et avec Jésus!

Mt 5, 13-16 : Grain de sagesse!

Jésus se regarde dans le miroir qu'est la sagesse du Père et il nous voit. Sel de la terre, il nous désire sel de la terre. Lumière du monde, il nous désire lumière du monde! Puissions-nous désirer ardemment l'être avec lui quand nous nous regardons dans le même miroir! En Jésus, nous sommes grains d'une sagesse nouvelle, rayons d'une lumière sans déclin! 

Saint Paul semble avoir compris de quel sel parlait Jésus, quel sel était Jésus : grain d'une sagesse jusqu'alors inconnue! Sel dont la nature mystérieuse s'est manifestée en passant par la croix, machine broyeuse des sagesses humaines. Paul sait que ce sel ne doit pas se dénaturer s'il veut offrir, dans sa présence enfouie ou simplement répandue au sol, sa puissance de conservation, de saveur ajoutée, sa modeste utilité été comme hiver. Comment être grains de sel dans notre environnement sans être extraits du même gisement d'amour que Jésus pour nous offrir avec lui, grain à grain?

Isaïe, ancien prophète, semble avoir expérimenté la beauté d'une maison où ténèbres deviennent lumière de midi! Le pain y est partagé, le malheureux accueilli et revêtu; paroles, gestes et attitudes sont fruits de l'amour. Le prophète rêve que toute la terre devienne cette maison! Des bergers, en pleine nuit, des sages, à la suite d'une étoile, ont entrevu l'univers comme une maison en pleine lumière de midi quand Jésus est né. Lumière ensuite cachée dans la maison de Nazareth puis éclairant pendant quelques années nos voies enténébrées, enfin illuminant tout l'univers en surgissant du tombeau. Comment être lumière dans notre petit patelin sans demeurer intimement branchés avec Jésus sur le réseau de la Source lumineuse qu'est le Foyer divin pour nous donner avec lui de petite étincelle en petite flamme?

Mt 5, 17-37 : Quoi! Réapprendre?

Jésus nous demande, avec aplomb, de désapprendre et de réapprendre à partir de sa sagesse à lui. C'est difficile. Car ce que nous savons, nous l'avons parfois appris à la dure, peut-être même avec des coups de règles sur les doigts.

Faut le reconnaître, certains slogans, habitudes, principes nous collent à la peau et conduisent à violence, à la division. Jésus demande de tout rebâtir à partir du cœur, ce lieu secret où l'amour, Loi de notre être, est allumé à jamais. Jésus n'est pas venu abolir cette Loi, mais l'accomplir. Jusqu'au bout, il a «carburé» à l'amour et «chassé» les «solutions qui seraient sans amour», comme chante Brel.

Nous ajuster sur l'amour, c'est nous engager autrement dans nos relations aux autres qui ne sont pas des objets à convoiter pour en tirer profit et les laisser tomber après usage, mais des personnes, des frères ou des sœurs de même souffle. C'est tout faire pour nourrir, guérir, refaire les relations avec Dieu, entre nous et avec l'univers. Prendre soin de la relation, ça nous amène loin, très loin. Ça chamboule nos manières de voir, d'agir. Ça nous fait saisir, à nos dépens, qu'il vaut mieux regarder avec un seul œil, celui du cœur, couper peut-être dans le faire et prendre d'autres directions, inventer d'autres moyens, plutôt que de briser, de laisser se détériorer ou mourir nos relations. Car, beaucoup échappent spontanément, le cœur dans l'eau : «c'est l'enfer!», quand les relations sont tordues ou, pire, inexistantes!

Voici la question qui m'habite en présence de Jésus: d'où partent mes choix, paroles, attitudes, décisions? De mon cœur profond ou de mes blessures, préjugés, peurs, qu'en-dira-t'on, frustrations, routines? Sa réponse: «Viens, suis-moi!»

Tant que l'amour n'a pas vaincu la sagesse, écrit Jean Sullivan, on demeure un impuissant!

Mt 5, 17-37 : Réflexes d'évangile...

Méditant l'évangile d'aujourd'hui, j'ai pensé au marteau dont le médecin frappe nos genoux pour vérifier notre santé. J'imagine Jésus testant la vérité de notre vie à sa suite par la qualité de nos réflexes. D'où viennent spontanément nos paroles, gestes, attitudes, jugements?

Beaucoup de réactions viennent de ce que nous avons appris ou subi depuis le ventre maternel et dans tout autre environnement. Nous avons appris par les sens, les émotions, les contacts. Nous avons enregistré enseignements, slogans, préjugés. Nos réflexes viennent souvent de ce que notre corps a mémorisé. Ils sont, dépendamment de qui nous touche, de ce qui est touché, spontanément de colère ou de joie, d'exclusion ou d'accueil, de rancune ou de pardon. Dans chaque culture, chaque personne, se cache comme un «petit noyau dur» celui de l'appris qu'on dit «aller de soi». Inconsciemment aveugle, on risque de rester sourd aux coups de sonde de Jésus, aux mouvements du cœur. Nos réactions nous trahissent et ça nous gêne...

Reconnaissons-le, nous n'avons pas suffisamment appris à écouter notre cœur! Jésus demande de réapprendre en écoutant la Parole d'amour qui chante au cœur depuis l'origine. Il sait de quoi il parle! Lui, en toute rencontre, il avait le réflexe de l'amour, le geste, la parole, l'attitude qui font du bien. Il invite à syntoniser nos vies à cette sagesse d'amour qui dépasse toute sagesse humaine, à choisir l'unique grande richesse à portée de tous : la vie. Ce choix radical en faveur de la vie, magnifique réseau de relations, peut amener à des prises de conscience, donc à certaines amputations dans ce que nous regardons, dans nos manières de regarder, de prendre, de bâtir, dans nos courses effrénées ou notre sur-place stérile. Que lumière se fasse au cœur! Les yeux, les mains, les pieds suivront!

Mt 5, 38-48 : Eh bien! Moi je vous dis!

Chez la baronne de Hueck, en Ontario, j'ai entendu un témoignage bouleversant. Elle racontait avoir vu entrer chez elle un de ceux qui l'avaient chassée de son pays pendant la révolution russe. Son premier mouvement aurait été de lui arracher les yeux, ce dont elle était bien capable! Mais quelque chose s'est retourné en elle et elle est allée l'embrasser. Ce jour-là, disait-elle, elle a su qu'elle était chrétienne et que si Jésus nous demande d'aimer nos ennemis, c'est qu'il nous donne l'amour qu'il faut pour les aimer.

Je pense à elle en méditant l'évangile d'aujourd'hui. Et à François d'Assise avec son baiser au lépreux, à d'autres personnes dont j'accueille le récit dans le secret et qui, jamais, ne feront la manchette des journaux. Et il y en a!

Rappelons-nous la première béatitude: heureux qui se fie à sa Source pour aimer jusqu'au bout. La source ne gèle pas en hiver et ne vend pas son eau. Jamais nous ne pourrons devenir accomplis dans l'amour comme notre Père céleste en pensant y arriver à la force de nos poignets, écrasés sous la récurrence de culpabilités, de vains regrets.

Puisons plutôt, au fond secret de nos cœurs, à l'inépuisable source de cet amour «reçu en héritage» pour aimer comme nous sommes aimés, comme Jésus nous a aimés, car l'amour vient de Dieu... Aimer sans attendre d'autre récompense que la joie d'aimer dans la fidélité au meilleur de soi : c'est le projet de toute une vie! Mais...« Nous retrouverons, bonnes gens, croyez-moi, toutes ces joies profondes, on les retrouverait au fond de soi que ça ne m'étonnerait pas... on les retrouverait sous la poussière... et c'est tant mieux, on pourra voir enfin d'autres que les fous chanter l'amour, chanter l'espoir» (J. Brel).

Mt 5, 38-48 : Comme notre Père!

Jésus révèle le «noyau» d'où vient sa demande de tout réapprendre à neuf : il nous sait du même Père que lui! Il nous propose donc rien de moins que de devenir avec lui parfaits comme NOTRE Père est parfait. Il ne nous demande certes pas l'impossible...

Aucune pomme n'est parfaite! Sauf celle en plastique, donc vide! Comment être pleins de vie et parfaits? Extérieurement la pomme artificielle est parfaite : couleur unie, belle forme. Mais sans poids! Jésus ne peut pas parler de cette perfection-là : «correctitude» évaluée selon des codes de beauté cosmétique... Que de bêtises au nom du «perfectionnisme», de la peur de pécher qui nous tournent vers nous-mêmes non vers NOTRE Père!

Comment être parfait comme NOTRE Père? Ne serait-ce pas en assumant simplement notre vocation humaine? Comme Jésus, nous sommes nés pour aimer. Jésus a amoureusement obéi à la commande intérieure qui chante fidèlement en toute personne. Ça se manifestait dans ses réflexes quotidiens : le soleil et la pluie pour tous, la prière pour les ennemis, le petit quelque chose de plus, d'encore plus... En croix, il s'écrie que tout est accompli, parfaite plénitude dont le poids est 100% d'amour.

De vieux slogans engendrent un monde de folies meurtrières : «œil pour œil, dent pour dent», «si tu veux la paix, prépare la guerre». «Aimez comme le Père nous aime», Jésus sait que ce leitmotiv livre l’unique secret d'un monde plus humain. Expérimentant que le Père donne l'amour pour aimer, Il ne demande pas l'impossible! Nos péchés ne lui font pas peur! Mais ils nous font du mal. Remué dans ses entrailles comme SON/NOTRE Père, Jésus prend sur lui notre mal. Ne craignons donc pas, «au terme, nous ne serons plus qu'Amour» (Marie de l'Incarnation), parfaits comme NOTRE Père!

Mt 6, 24-34 : Écouter la nature

La personne qui enfouit une semence de pomme dans une bonne terre espère cueillir un jour les meilleures pommes au monde. Avec ces bonnes pommes, elle aura sûrement, par surcroît, des bonnes tartes, du bon cidre...Elle s'engage d'abord au service de la vocation fondamentale inscrite dans la semence non au service des livres savants qui parlent des pommes ni des vendeurs qui veulent en tirer profit. Elle fera tout, chaque jour, pour offrir l'environnement favorable à l'éclosion des meilleurs fruits.

Jésus nous invite à dialoguer avec la nature pour en écouter les secrets. Il nous retourne ainsi à notre nature à nous, à notre commande intérieure qui est semence d'un vivre ensemble plus harmonieux. «Le livre de la Nature, le livre des Écritures et le livre du cœur entrent en résonnance et nous découvrent la Présence de l'unique Logos...» (J.Y. Leloup). Le livre de la Nature cependant est premier! La promesse y est inscrite.

Cherchons d'abord à vivre à partir du meilleur de nous-mêmes, nous rappelle Jésus, à être ce que nous sommes appelés à devenir les uns pour les autres, le reste viendra par surcroît : la paix, la joie, le pain du jour, la justice. Nous inquiéter pour demain embrume notre aujourd'hui et ça nous casse vainement la tête. Le souffle mystérieux qui nous a tissés au ventre de nos mères nous travaille en ce moment, il est en nous mémoire d'origine et promesse d'avenir. Une présence, d'une mystérieuse origine, n'a pas fini de nous mettre au monde ensemble. 

Mt 7, 21-27 : Maison bâtie sur le roc

L'évangile nous conduit encore vers la même attitude profonde de Jésus, sa foi en ce qui lui vient de son Père: le don inépuisable de l'amour. Ce don, pour Jésus, est vécu comme un «impératif» intérieur, un mandat à partager avec son Père: «Comme le père m'aime moi aussi je vous aime; aimez-vous aussi les uns les autres comme je vous aime».

Jésus nous présente aujourd'hui un homme prévoyant et un homme insensé qui entendent bâtir leur maison. Avant d'entrer dans sa passion, il nous présentera alors cinq femmes prévoyantes et cinq femmes insensées invitées à une noce. Pour qui veut se rendre jusqu'au bout, le message est le même : mettre notre foi non pas dans notre construction ni dans notre lampe, mais dans le roc qui tient solide la maison ou dans l'huile qui nourrit la lampe du dedans. Oublier cela, c'est nous construire sur du sable mouvant; un rien nous ébranlera et nous fera nous écrouler. Nous irons de déceptions en frustrations.

Saint Paul semble avoir saisi cela d'une manière convaincante. «Quand bien même je parlerais toutes les langues, dit-il, si je ne parle pas l'amour», ça risque de sonner faux. «Quand bien même j'aurais une foi à transporter les montagnes, si ce n'est pas une foi en l'amour», ça peut mal tourner pour moi et pour les autres. «J'aurais beau donner tous mes biens aux pauvres», me brûler à la tâche, faire des miracles en invoquant celui que je crois adorer, si je ne carbure pas à l'amour, ça ne sert à rien. Seul demeure l'Amour qui tient tout ensemble.

Avec Jésus, saint Paul et tant d'autres, souvenons-nous que nous sommes solidement fondés, «enracinés dans l'Amour» pour porter des fruits bons à manger et qui demeurent à jamais. 

Mt11, 2-11 : Qui attend qui?

«Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?» De toutes sortes de prisons, cette question brûle les lèvres de nombreuses personnes que nous connaissons. Le cœur en charpie, elles attendent un regard compatissant, une goutte d'eau, une guérison!

En réponse aux envoyés de Jean, Jésus témoigne simplement de ce qui, par lui, fait tellement de bien à des gens qui ne voient pas ou n'entendent pas, qui boitent ou se sentent lépreux, comme à d'autres tenus captifs des filets de la haine ou de la mort. Quand Jésus passe, en effet, il arrive quelque chose de bon aux personnes assoiffées, défaillantes, affolées. Isaïe déjà disait que notre Dieu exerce sa revanche en sauvant ce qui est perdu! Belle recette à essayer cette semaine!

De nos enfermements, personnels ou communautaires, à qui désirons-nous envoyer un émissaire s'enquérir si c'est bien la femme ou l'homme qui doit venir ou si nous devons en attendre un, une autre pour nous-mêmes, notre milieu, notre monde?

Et si jamais nous jouissons d'un espace de liberté, ouvrons larges nos cœurs! De quel emprisonnement nous est envoyée une personne demander : «Es-tu la communauté, l'Église, l'association, le pasteur, la conjointe ou le conjoint, la compagne ou le compagnon, le voisin, la voisine qui doit venir ou si nous devons en attendre un autre, une autre? »

Jacques Brel ressentait probablement dans son cœur la même urgence que Jean le précurseur car il chante : «Pourvu que nous vienne un homme (femme) aux portes de la cité... que l'amour soit son royaume et l'espoir son invité... qu'il (elle) vienne avant que les autres hommes (femmes) ne dressent aux creux des nuits de nouvelles barricades». Viens vite, Jésus, exercer dans notre cité ta surprenante revanche, celle de l'amour!

Mt 11, 25-30 : Rencontres reposantes!

Jésus se désole à la vue de gens, sages et savants, qui ne flairent rien de Dieu dans ce qu'il accomplit sous leurs yeux. Il se réjouit cependant d'en rencontrer qui, même païens, parlent de «miracles». Émerveillé, il bénit spontanément le Père pour ceux qui, comme des enfants, le découvrent avec les sens de leur cœur.

C'est quoi un miracle? Selon un grand maître spirituel, c'est l'oiseau qui vole, la fleur qui s'ouvre, l'enfant qui sourit, et le plus grand des miracles, c'est la transformation du cœur humain... Le mot «miracle» monte souvent spontanément à nos lèvres: «c'est un miracle, la circulation est fluide!» ou encore: «miracle! J'ai été capable de parler en public!»; «un vrai miracle! dit une ado aux funérailles de sa grand-mère, tout le monde se regarde et se parle aujourd'hui!». On dit «miracle!» quand les choses sont comme elles sont censées être, font ce pour quoi elles sont là. Ainsi quand un cœur créé pour aimer se met à aimer, c'est le miracle des miracles! Et c'est reposant pour tout le monde. Ce cœur transpire quelque chose qui ressemble à Jésus. Peut-on flairer Dieu en Jésus et dans ses œuvres sans avoir en soi un avant- goût de la connaissance intime que Jésus et son Père ont l'un de l'autre?

Pendant que des savants attendent de Jésus des choses extraordinaires comme preuves qu'il vient de Dieu, des personnes simples voient en lui un envoyé de Dieu. Jésus respire à l'aise en compagnie de telles personnes. Comme Dieu, il cherche un lieu où reposer sa tête et son cœur! Il invite d'ailleurs les gens fatigués à venir s'atteler avec lui pour expérimenter combien çcest plus léger de porter un fardeau à deux. Si c'était cela l'amour au quotidien!

Mt 13, 1-23 : Généreuses semences!

Jésus prend le temps, avec ses disciples, de contempler une semence. J'ai le sentiment qu'il leur offre une précieuse clé pour comprendre, non seulement l'évangile, mais l'univers, de son origine jusqu'à son accomplissement. Dieu aurait bien pu faire des créations toutes achevées, arrivées à terme! Mais non, il fait des semences et nous les confie. Quelle joie Dieu éprouve-t-il donc à nous voir émerveillés quand éclate en beautés la puissance cachée au cœur d'une semence!

C'est pourtant simple une semence! Une pauvre enveloppe, ventre où se love la mystérieuse promesse d'un avenir à n'en plus finir! La plus petite semence en arrive à faire craquer les rochers! Tant de semences! Semences porteuses d'une Parole créatrice et pourtant muettes dans nos mains. Semences aux multiples formes et couleurs! Semences ailées, semences humides, semences sèches. Semences oubliées dans nos coins secrets comme dans les pyramides des Pharaons mais toujours pleines d'une mémoire vive de fleurs et de fruits. Semences en attente patiente d'une terre ou d'un cœur au flanc ouvert pour y être accueillies en profondeur. Enveloppes qui se déchirent sous la poussée du secret mystère qu'elles ont protégé de leur mieux. Semences disparues pour s'être données en offrandes aux alliances fécondes.

Heureux qui se glisse dans la foi que Dieu a dans les semences qu'il donne en surabondance. Il est sûr, Lui, que sa Parole comme énergie sacrée, conscience universelle, ne lui reviendra pas sans avoir accompli sa mission! Dire que la capacité d'aimer est une semence enfouie au fond du cœur de chaque personne avec son histoire! Pourquoi ne réussirait-elle pas à donner ses fleurs et ses fruits en temps voulu?

Heureuse la personne qui, comme Joseph, prend chez elle ce qui vient de Dieu en si petit, si étrange, mais si puissant!

Mt 13, 24-43 : Sainte patience!

Nous voyons facilement nos défauts et ceux des autres donc! Nous voudrions tant les exterminer pour toujours faire bonne figure. Quitte à hypothéquer l'avenir en arrachant les bonnes pousses avec les mauvaises! Nous trouvons aussi que certains fruits tardent à venir. Jésus ne pense pas ainsi!

Faut-il qu'un semeur fasse confiance au bon germe caché dans une semence pour demander de laisser pousser ensemble ivraie et bons grains en espérant la moisson! Faut-il qu'une femme soit sûre de la puissance d'une mesure de levain enfouie dans trois mesures de farine pour espérer voir lever la pâte! Maman aurait dit que ça ne lèverait pas, qu'elle s'était trompée! Je me réjouis de penser qu'à l'origine, un germe, un levain d'amour ait été mis en mémoire active en moi, dans les autres, dans les peuples, dans l'univers. Après coup l'ennemi a semé son ivraie dans le champ déjà ensemencé.

Le bon grain de l'amour avait donc une longueur d'avance quand apparut l'ivraie. Comme une personne retire ses mains de la pâte qu'elle vient de pétrir pour laisser le levain travailler, ainsi Dieu s'est retiré de son œuvre. Il compte sur son Souffle d'amour, enfoui en toute chose, pour faire lever sa création jusqu'à l'accomplissement de l'univers. Dieu espère patiemment des fruits savoureux, du bon pain. En tout cas, il a bien réussi en Jésus! Pourquoi pas en nous!

Amoureux-ses de la vie, glissons-nous dans la sainte patience de Dieu! Tout nous est donné! Tout a tenu jusqu'à ce jour...! Les bêtises humaines n'ont pourtant pas manqué! Le travail d'enfantement n'est terminé ni en moi ni en vous ni dans l'Église ni dans les peuples ni dans l'univers. Dieu est tellement certain que, mû par son amour, l'univers progresse! Qui donc pourrait détruire l'indestructible amour?

Mt 13, 33-37 : Un trousseau de clés!

Comment dormir le cœur en paix avec cet avertissement de Jésus? Il faut bien dormir non! Veiller jour et nuit, c'est vraiment impossible, surtout si le temps s'étire à n'en plus finir.

J'ai trouvé une solution qui me laisse le cœur en paix et qui me permet de dormir sur mes deux oreilles, tout en laissant bien ouvertes les oreilles de mon cœur. Je l'ai trouvée quand je parcourais régulièrement les routes de la Gaspésie. C'est très simple: je collectionnais les clés ou les combinaisons qui me permettaient d'entrer de nuit chez des gens qui me faisaient confiance. Le matin, on pouvait aussi bien me trouver dans mon sac de couchage sur le divan du salon que dans un lit disponible! Un bon café d'accueil et, revigorée, j'étais prête à reprendre la route.

Mon secret? Donner à qui peut arriver à toute heure, même ténébreuse, le secret pour ouvrir la serrure de ma maison. Cette personne entrera comme chez elle, sachant que mon cœur est tout à fait ouvert et sans inquiétude. Qu'il est bon le café matinal en présence de qui peut entrer à l'improviste tant la confiance est mutuelle!

Jésus désire peut-être ajouter à son trousseau la clé de mon cœur. Ne m'a-t-il pas donné la clé du sien? La clé de ma maison est unique mais je peux faire des doubles pour ceux et celles à qui je fais confiance. Quand Jésus vient de jour, il se tient à la porte et il frappe désirant que je lui ouvre et lui offre le pain. Mais du soir au matin, quand je dors, je préfère qu'il ait sa clé et puisse entrer tout à l'aise. Quelle joie à mon réveil quand je le reconnais sous son habit d'emprunt!

Mt 13, 44-52 : Quête de trésors, de perles...

Michel Rivard chante le trésor, la «richesse qui dort dans le cœur des enfants mal aimés»! S'agirait-il du trésor caché dont parle Jésus? Une personne qui découvre un trésor caché dans un champ est prête à tout vendre pour acheter le champ, dit Jésus. De même, ajoute-t-il, quiconque trouve une perle de grande valeur est prêt à tout négocier pour acheter cette perle. 

Mus comme Jésus par un désir plus grand que nous-mêmes, nous cherchons avec tellement d'avidité trésors et perles qu'il nous arrive de ramasser beaucoup de choses dans nos filets, de consentir à toutes sortes de relations. Puis vient un jour où s'impose l'urgence de faire un tri pour conserver ce qui fait vivre, laisser aller ce qui est inutile ou dommageable.

J'ai souvent observé ceci : quand meurt une personne qui nous est proche on dirait que l'on ne voit plus que la vraie personne. Le trésor caché est comme dégagé de masques, de systèmes de défense. Ce que l'on trouvait difficile dans la relation, ce qui menaçait, agaçait, manies ou défauts, c'est comme si ça n'existait plus. Sinon comme un vêtement abandonné. Verrait-on alors la personne comme Jésus l'a toujours vue? Cela expliquerait-il que nous pleurions pour vrai quand meurt quelqu'un-e avec qui nous avons pu avoir mal à vivre? N'est-ce pas que remontent au cœur, à cette heure-là, ces moments sacrés, inoubliables, qui sentent toujours la beauté du trésor caché, de la perle découverte!

Jésus nous parlerait-il aussi de lui-même sorti de chez Dieu pour acheter le trésor d'humanité caché dans l'univers? Aurait-il vu en chaque personne une perle de grand prix? Ne s'est-il pas donné passionnément pour entrer en relation avec les perles que nous sommes et que nous demeurons toujours à ses yeux!

Mt 14, 13-21 : Recette à continuer!

Quelle faim pousse les foules vers l'endroit où Jésus se rend en barque? Elles le devancent alors qu'elles sont à pied. Quelle nourriture Jésus leur sert-il ensuite pour qu'elles oublient de manger?

Un ado souffrait de ne pouvoir parler avec son père. Quand il essayait, son père lui donnait de l'argent pour aller s'acheter quelque chose... Le jeune désirait une autre nourriture. Son père l'envoyait ailleurs. Les disciples, inquiets, proposent cela à Jésus : envoyer les foules ailleurs faire une épicerie. Jésus leur dit que pour ce dont les foules qui l'écoutent ont faim il est inutile de les envoyer ailleurs. Eux et les gens ont sur place de quoi se nourrir s'ils consentent à se donner eux-mêmes à manger. Qu'ils trouvent d'abord ce que des gens ont apporté comme fruits de leur travail (cinq pains) et ce que la nature donne (deux poissons). Qu'ils fassent asseoir les gens en petits groupes. Qu'ils prennent pains et poissons, lèvent les yeux vers Dieu pour reconnaître sa bénédiction dans les dons reçus. Qu'ils distribuent ensuite aux convives et ils verront qu'il restera toujours, d'une fois à l'autre, de bonnes réserves à partager!

Les biens matériels ne manquent pas. Pour devenir bergers, les disciples ont dû apprendre à discerner une faim autre que celle de manger et de dormir : la faim de rencontres nourrissantes. Jésus a vécu une visitation signifiante avec une samaritaine. Il a ensuite dit aux disciples de regarder autour d'eux, c'est plein de gens qui attendent de ces rencontres où l'on prend le temps de se nourrir de présence mutuelle. 

Tant de gens affamés de relations! Pourquoi les envoyer ailleurs quand on a tout ce qu'il faut! Beaucoup de personnes suivent la recette de Jésus! Heureusement! Sinon que serait le monde devenu?  

Mt 14, 22-33 : «N'ayez pas peur»

J'ai souvenir d'une nuit où mon père s'est levé pour contrôler le boeuf qui, détaché, encornait rageusement tout sur son passage. Comme papa revient de l'étable après avoir enfermé l'animal, j'entends maman crier : «Tommy, un fantôme!». Papa, de blanc vêtu, répond : «C'est moi, bondieu!». Maman avait-elle peur du bœuf au point de penser que mon père ne reviendrait pas vivant et qu'elle s'imaginait voir un fantôme?

Les premiers chrétiens, vivement apeurés par les forces contraires qui risquent de faire sombrer leur frêle barque, doutent-ils de la présence de Jésus au point de remettre en question qu'il est revenu vivant de la mort? Le prennent-ils pour un fantôme alors qu'il est bien réel? Pendant que la tempête s'élève et fait rage, Jésus, vainqueur de la mort, n'est-il pas resté sur la rive, seul, à prier le Père!

Avec Pierre, nous apprenons que la foi n'est pas un défi lancé à Dieu pour qu'il nous fasse prématurément marcher sur les eaux! C'est plutôt un cri du cœur qui, dans la peur viscérale de périr, nous fait accepter la main tendue pour sortir de nos tempêtes ou embardées téméraires puis à remonter dans la barque avec la personne qui tend la main.

Jésus Ressuscité n'est pas un fantôme, mais une main tendue. Sur l'autre rive, il intercède pour nous. Nous ne pouvons pas encore marcher sur les eaux, mais nous sommes «em-barqués» pour naviguer ensemble, parfois contre vents et marées. Mystérieusement unis en Jésus, nous pouvons nous tendre mutuellement une main secourable. Des nôtres ont traversé l'épreuve et, en Jésus, prient maintenant pour nous. Peut-être sont-ils aussi présents dans nos affolantes nuits de tempête! Puissions-nous accepter les mains qui nous sont tendues et y reconnaître la Présence réelle de Celui qui nous aime!

Mt 15, 21-28 : Femme, ta foi est grande!

            Un couple découvre l'existence d'un remède capable de guérir leur enfant. La famille, les amis vainquent tous les «impossibles» pour trouver ce remède dans un pays étranger. Comme c'est puissant un désir plein d'amour pour vaincre tous les obstacles et devenir réalité!

Pas facile, par exemple, de tenir tête au mutisme quand nous appelons au secours! Comment justifier ce refus de répondre, encore moins celui de Jésus quand on lance vers lui un S.O.S pour un enfant chéri! Pas facile de passer outre aux récriminations d'un club d'amis qui, dérangés par les cris d'un intrus, demandent qu'on leur fiche la paix. Encore moins, quand on fait appel à la personne pressentie comme l'unique planche de salut!

Pas facile de dépasser le jugement qui frise l'exclusion quand, étranger ou étrangère, on n'est pas de «la bonne gang», encore moins quand cela vient de Jésus de qui on s'est désespérément approché! Pas facile de subir le sarcasme d'être comparés à des petits chiens qui mangent les miettes tombées de table, surtout quand cela vient de Jésus qui, pourtant, mange avec des pécheurs! Pourquoi refuser d'accueillir cette soeur en humanité venue des territoires païens?

Quelle foi en Jésus, vu comme recours ultime, chez cette femme! Quel désir de voir sa fille enfin guérie! Elle ne recule devant aucun obstacle. Ce qu'elle veut, c'est que vive son enfant! Elle est prête, s'il le faut, à manger les miettes données aux petits chiens. Une seule miette, mais venue de Jésus dont elle a entendu parler, peut sûrement guérir son enfant!

Jésus est  profondément touché par la foi têtue de cette femme pourtant païenne. Il voit son désir devenir réalité! Au fond, notre désir est peut-être celui de Dieu lui-même qui tient tête en nous! 

Mt 16, 13-20 : «Qui suis-je, pour vous?»

Je suis parfois tentée de savoir ce qu'on dit de moi! Me compare-t-on à d'autres? Combien me connaissent vraiment parmi les gens rencontrés? Certaines personnes sont rejointes par mes propos, d'autres, pas du tout. Alors, je me hasarde parfois à demander à mes véritables ami-e-s qui je suis pour eux, pour elles!

Quelle joie alors de rencontrer une personne qui pressent, qui effleure ce que je suis. Pas seulement comme fille de parents selon la chair et le sang, pas seulement comme celle qui fait des choses, pas seulement comme membre d'un groupe d'appartenance, pas seulement comme celle qui fait des bêtises non plus; mais selon mon nom unique, ce que je suis appelée à devenir en vérité, ce qui demeurera quand seront effacées toutes les lignes de mon pauvre CV.

Jésus, désirant savoir ce qu'on dit de lui, déclare Pierre heureux de toucher à ce qu'il est, au-delà de ce que disent la chair et le sang. Pour flairer en Jésus un fils de Dieu, Pierre a sûrement quelque chose d'un «enfant né de Dieu» en lui!

Sur cette fondation solide, la reconnaissance mutuelle d'une même origine sacrée, Jésus désire rassembler tous les humains. Tant qu'il y aura, sur terre, une personne qui, écoutant son cœur, reconnaît dans l'autre l'inviolable dignité d'être né-e d'un même Amour, tout sera possible. La Mort ne l'emportera pas sur cette alliance, car jamais elles ne seront ex-enfants d'un Dieu Amour!

 Selon un sage, nous passons de la nuit au jour quand nous voyons dans l'autre un frère ou une sœur. Heureuse personne qui, se sentant plus grande que d'humaine nature, voit dans tout autre, un frère, une sœur à aimer! Elle est sûrement sensible à l'amour reçu en héritage qui, seul, donne la juste connaissance!

Mt 16, 13-20 : Communautés à naître!

De quelles expériences vitales peut naître une communauté d'Église aujourd'hui comme hier? Celles vécues par Pierre puis par Paul, dans des cultures, des circonstances très différentes, sont pourtant semblables dans ce qui est l'essentiel de la foi comme pierre d'assise d'une communauté chrétienne. Ces deux points de départ d'une expérience fondatrice nous interpellent aujourd'hui.

Pierre, fier pêcheur, confesse spontanément que Jésus, qu'il suit depuis quelque temps, est né de Dieu, alors que les autres comparent Jésus à quelqu'un du passé. Jésus révèle à Pierre que sa réponse lui est dictée ni par la chair ni par le sang, mais par Dieu qui l'instruit de la relation filiale que Jésus vit avec lui.

Paul, pharisien chevronné, ardent défenseur du Dieu de sa religion, est mandaté pour traquer, lyncher ceux qui sont devenus disciples de ce Jésus qu'on vient de crucifier et que certaines voix affirment vivant. Sur son «chemin de Damas», renversé, devenu aveugle, il apprend que le corps de Jésus n'a pas été détruit par la mort, car il entend Jésus lui révéler que ceux qu'il persécute sont son corps vivant. Ce que Paul fait subir aux premiers disciples, Jésus, invisible, affirme le ressentir comme fait à lui-même. Quand tombent les écailles de ses yeux, Paul devient le passionné du Corps visible de Dieu dont Jésus, premier-né, est la tête.

Tant qu'il se trouve une personne qui, par expérience intérieure ou renversement inattendu, voit dans l'autre, même défiguré, un frère ou une sœur à accueillir, nous avons une semence de communauté. Le don de la foi, c'est de voir Dieu là où on ne le voyait pas! Sur cette foi est fondée l'Église. Foi dans un Dieu amoureux qui se fait chair de notre chair, présent de notre présence!

Mt 16, 21-27 : D'un Jésus "messie" à "fils de Dieu"?

Pierre appelle Jésus non seulement «messie» mais «fils du Dieu vivant». Mais ça signifie quoi ce titre de «fils de Dieu» en plus de «messie» alors que Jésus commence à dire qu'il souffrira? Pierre, en aparté, ose même le réprimander: «Dieu t'en garde, cela ne t'arrivera pas»! Jésus est dans la situation déjà vécue au désert. Satan, sous l'habit de Pierre, veut, à nouveau, barrer la route que Jésus entend suivre pour obéir au souffle intérieur.

À un tournant de sa vie, Jésus sent le temps venu de révéler que ce ne sont pas les actions d'éclats attendues d'un messie qui manifestent son identité véritable. En faisant de moins en moins de 'miracles' et en parlant de plus en plus de la souffrance, de la mort qui l'attendent, Jésus laisse soupçonner qu'être Fils de Dieu, c'est avoir en soi la force de traverser la souffrance mais aussi la MORT et d'en sortir vivant à jamais.

Il ne s'agit donc plus pour Jésus de rendre quelqu'un d'autre à la vie, comme par miracle, mais de surgir lui-même vivant de la mort pour manifester qui il est en vérité! D'ailleurs, Dieu n'a pas craint d'envoyer son Fils chez nous, de le laisser s'aventurer dans les «ravins de la mort» et expérimenter le cruel sentiment d'être abandonné par celui qu'il appelait pourtant «papa»! Dieu sait, lui, que son Amour est, en son Fils bien-aimé, plus fort que la mort!

Croire en Dieu ce n'est pas imaginer ou espérer qu'il nous fera éviter la souffrance et la mort, que nous passerons par-dessus ou à côté. C'est croire que nous sommes habités, comme Jésus, d'une force indestructible reçue du Père pour passer mystérieusement dedans et en sortir grandis, vivants : son souffle d'Amour!

Mt 17, 1-9 : "C'est mon Fils!"

Un homme venu de loin visite sa mère au centre d'hébergement. On l'avait prévenu qu'elle ne le reconnaîtrait pas. En pleine messe, son fils assis tout près d'elle, soudain un bref éclair de conscience l'illumine : «C'est mon fils!» qu'elle s'écrie en secouant le bras d'une voisine! Les larmes sont montées aux yeux de plusieurs, dont le président d'assemblée qui ne put que faire silence! Quelle joie pour le fils que cette parole qu'il n'osait espérer! Joie partagée par l'assemblée. J'ai aussi souvenir d'un homme qui, soudainement, s'est écrié : «Dieu est mon père et je ne le savais pas! Il l'était avant aujourd'hui! Il est le Père de mes enfants, un jour ils le sauront! Je ne serai plus inquiet pour eux»!

Comment ne pas éclater de joie! Nous sommes tous ensemble sous la même nuée quand le Père s'écrie : «C'est mon fils!». Lui, notre Père, nous voit et nous reconnaît de la même origine que son Fils Jésus. Il ne peut voir Jésus sans nous voir toutes et tous! Nous sommes, pour Lui, un seul et même Enfant. Heureux nos yeux si, un jour, comme ce fut le cas pour les apôtres, nous voyons ce que voit notre Père : Jésus seul parce tous et toutes nous formons son corps... Quelle émouvante humanité!

«C'est mon fils!»; «Dieu est mon Père et je ne le savais pas, il est le Père de mes enfants!» Que demander sinon qu'une fois dans sa vie chaque être humain, homme ou femme, tout simplement assis près d'une autre personne, entende, à son tour, cette unique parole toujours sur les ondes, que notre Dieu, à la fois Père et Mère, dit avec amour : «C'est mon fils!», «C'est ma fille!». Que toute vie en soit transfigurée!

Mt 18, 15-20 Si ton frère, ta sœur...

J'ai le vif sentiment que pour vivre en vérité l'évangile d'aujourd'hui, il faut nous situer au niveau de la foi en toute personne jusqu'à voir en chacune un frère ou une sœur envers qui nous serions décidément engagés par solidarité humaine. D'ailleurs, n'est-ce pas à ce niveau que l'évangile de Matthieu entend nous toucher?

Comment vivre et grandir ensemble, égaux et différents, sans décider de nous engager les uns, les unes envers les autres et d'avoir à cœur l'humanité tout entière? Nous engager à poursuivre inlassablement le dialogue afin d'en arriver à mieux nous connaître pour mieux nous comprendre. Nous engager à accepter la remise en question, la correction fraternelle, et même à nous laver les pieds mutuellement.

Ne sommes-nous pas appelés, dans la foulée de Jésus, à deux ou à plusieurs, à prendre le risque d'aimer pour contribuer à l'avènement d'un univers plus harmonieux? C'est dans la juste relation entre des personnes que se manifeste la présence du divin. Christian Arnsperger, économiste, invite quiconque désire tenter l'aventure vers un monde nouveau à devenir «entrepreneur relationnel» et à transformer les différents milieux de vie en lieux de guérison.

Comment faire cela sans réaliser que nous sommes d'une même origine, d'un même souffle et destinés au même accomplissement? Parler de «péché» dans cette optique, c'est parler de faute dans les relations. Comme il faut avoir le cœur libre pour oser rencontrer l'autre qui a «péché» et lui parler d'abord seul à seul pour l'aider à voir sa faute! Et pour accueillir un-e autre qui ferait ainsi pour moi!

L'évangile nous propose donc, claironné par plusieurs voix actuelles, de dépasser les «accommodements raisonnables». Nous qui nous disons disciples de Jésus, comment faire une différence dans le monde? Sommes-nous un sel gouteux, une lumière exposée?

Mt 18, 15-20 : Jésus au milieu des "nous"!

Imaginons que des personnes, ayant à cœur la qualité de leur relation, s'engagent à s'avertir mutuellement si leur conduite met leur relation en péril. C'est précisément l'engagement que Jésus attend des disciples qui désirent vivre sérieusement la nouveauté d'une communauté basée sur l'amour reçu pour être donné!

Les textes d'aujourd'hui parlent d'amour fraternel. Saint Paul demande de n'avoir aucune dette envers personne, sauf celle de l'amour mutuel... Nous voyons-nous rivaliser pour contracter des dettes d'amour mutuel à intérêts composés? Sans autre loi pour gérer la compétition que celle de l'amour! Faudrait bien être d'accord et faire appel ensemble à la Caisse centrale de l'Amour pour augmenter progressivement ces dettes mutuelles! De toute façon ne faut-il pas solliciter souvent des petits retraits à la Caisse centrale pour multiplier les dettes d'amour au quotidien! Heureuses les personnes qui se mettent d'accord pour demander au Père l'essentiel qu'est l'amour! Jésus, présent au milieu d'elles, le demande avec elles!

J'entends encore un homme ordinaire faire cette juste remarque : «Jésus n'a pas dit qu'il serait quelque part et que nous irions le rencontrer là; il a dit qu'il serait là où nous serions réunis». J'ai aussi souvenir d'avoir entendu le savant Albert Jacquard s'adresser à des cégépiens. Il leur parlait d'une voie d'avenir proposée par Jésus quand il a promis que si nous étions deux, solidement unis, nous serions forts comme trois. Un entraineur de rugby dit avoir fait de son équipe de filles une équipe de gagnantes pour leur avoir inculqué la «dévotion du nous »...

Mt 18, 21-35 : Combien de fois pardonner?

Comment passer d'un réflexe de calcul à celui de la gracieuseté comme Pierre est invité à le faire aujourd'hui sans faire appel à notre foi en cette « incroyable puissance d'aimer» au cœur de toute personne?

Pardonner! «Que c'est difficile!» «C'est fou!». «C'est se laisser manger la laine sur le dos». Si au moins on limitait cela à un nombre de fois. Il y a quand même des limites! Difficile oui! Tellement difficile que c'est presqu'Impossible! Pourtant ça fait mal à nous rendre malades de ne pas laisser l'amour circuler librement dans nos artères! Ne pas pardonner, c'est bloquer des chemins de vie. Chaque jour nous voyons à quel point les occlusions d'amour font mal aux familles, aux Églises, aux peuples, à l'humanité.

La réponse de Jésus à Pierre est une belle application de la parabole qu'est la semence. Le serviteur à qui on vient de remettre une grosse dette ne prend pas le temps d'accueillir la semence de pardon qui lui est offerte gracieusement, de la goûter, de la laisser pénétrer en profondeur pour qu'elle produise des fruits de même espèce. Aussitôt sa dette remise, il rencontre l'autre qui lui doit fort peu et agit comme une personne qui a vite consommé et s'en va sans avoir pris le temps de communier pour devenir ce qu'elle a reçu.

Au fond, Jésus répond à Pierre qu'il découvrira la juste réponse à sa question quand il aura goûté à quel point celui qu'il a trahi a tout juste continué à l'aimer et qu'il en pleurera de joie. Alors, il ne se demandera plus combien de fois. Heureux et émondé, il produira, en toute saison, des fruits de même espèce, fruits de compassion, de pardon. L'amour en lui aura vaincu la courte sagesse des calculs!

Mt 20, 1-16a : Quand on n’a que l’Amour à offrir en salaire…

Jésus nous invite à passer d'une mentalité de froid calcul à celle de la gratuité aux couleurs de l'amour. Un compagnon m'a fait goûter cette histoire d'ouvriers embauchés à différentes heures du jour. La célébration eucharistique allait commencer quand cet ami me souffle à l'oreille qu'il venait de comprendre quelque chose de difficile. «Quoi?» lui demandai-je. «J'ai compris le secret de la parabole des ouvriers, dit-il. C'est simple : avec le bon Dieu il s'agit simplement de se présenter et on a tout!»

L'histoire de Jésus demeure quand même difficile à «prendre» pour plusieurs. «Comment! Cette personne a bamboché toute sa vie et elle va aller au Ciel...à quoi bon avoir été fidèle tout le temps, si c'est comme ça!» C'est difficile d'entrer dans la gratuité de la bonté quand on évalue sa vie et celle des autres à l'étalon des mérites, des droits et des sueurs ou de la rectitude morale. On voit bien que la difficulté ne vient pas du Père qui est toute bonté, mais des enfants entre eux, de l'attente d'un retour qui leur serait dû pour un relevé d'heures de services qu'ils disent avoir rendus. Pourtant, quand un enfant se présente à la dernière minute du réveillon, on lui sert tout comme à l'autre arrivé beaucoup plus tôt pour participer à la préparation. On est tellement content qu'il soit venu!

La source se donne sans mesure à quiconque vient cueillir de son eau, 24 heures sur 24. Une source ne vend pas son eau, dit G. Vigneault. Le Père Bourassa, jésuite, disait qu'une source, même si elle n'est pas reçue, n'arrête pas de couler, elle se donne. Faut-il s'en formaliser? Connaissant mal notre Dieu, source intarissable de bonté, peut-être connaissons-nous mal notre propre cœur!

Mt 21, 28-32 : Qui précède qui?

Jésus s'adresse à ceux dont il a dit à Pierre qu'il aurait beaucoup à souffrir : chefs des prêtres, scribes et anciens. Depuis le début, Jésus souffre de leur refus obstinément aveugle d'écouter la Parole gravée dans leur cœur. L'écouter aurait pu changer leur attitude,  les rendre plus attentifs, plus humains dans leur rapport aux autres personnes. Il peut arriver que le cœur dise spontanément oui au point de départ. Mais, peu à peu étourdi par le goût sucré / salé du pouvoir, il ferme ses oreilles aux appels, discrètement murmurés, de l'amour. Il peut arriver aussi qu'on pense avoir dit non. Puis, qu'à même certaines expériences humaines très simples, l'amour qui joue sa mélodie au fond du cœur fasse mûrir, à l'insu des personnes, des fruits de bonté, de compassion, de justice...

Ce n'est sûrement pas agréable pour les chefs des prêtres, scribes, anciens, de se faire dire par Jésus que publicains et prostitué-e-s les précèdent dans le Royaume de l'amour. Jésus a pourtant raison. Pour Jésus comme pour nous le pire qui peut arriver à l'humanité c'est que se brisent les circuits de l'amour. À quoi bon vivre alors? D'ailleurs, sans les «petites bontés» de l'amour, gratuites et discrètes, le monde serait déjà détruit. «Aimer même trop, même mal», pourvu que la semence d'amour produise ses fruits!

Nous fermer à l'amour est un plus grand péché que de faire des bêtises en apprenant à aimer. L'amour est plus fort que nos bévues, il nous pousse à resurgir, à marcher encore, même en boitant, dans la voie qui, seule, mène à la vie. La peur et le pouvoir sont mauvais conseillers, ils tiennent tant d'amour en prison! Au palmarès de la bonté, de la compassion, de la justice, de la tendresse, qui précède qui?

Mt 21, 33-43 : Secret d'héritage!

Alors que l'atmosphère qui l'entoure sent de plus en plus la mort, Jésus tente d'atteindre le cœur aveuglé des grands-prêtres, scribes et pharisiens, avant qu'il ne soit trop tard. Dans un ultime coup de tendresse, par une nouvelle histoire, il décrit le sort qu'on lui prépare, le même que celui réservé aux prophètes venus avant lui.

Faut-il que Dieu aime les siens, sa vigne de choix, pour envoyer son propre Fils et croire que tout est encore possible chez ceux qu'il a créés à son image! Ils ne savent peut-être pas, les scribes et pharisiens, ou ils l'ont oublié, que Dieu leur a été confié son héritage dès l'origine de leur vie pour le faire fructifier. Ils pourraient même y puiser à tout instant sans qu'il ne s'épuise. Ils sont loin d'imaginer, ces scribes et pharisiens, que la mort du Fils fera se lever des milliers de fils et de filles prêts à mourir comme lui pour que la vigne préférée de Dieu n'appartienne jamais à quelques personnes aveuglées par l'appât du pouvoir. 

«Attention au levain des pharisiens», disait Jésus. Tout nous est confié pour en prendre soin avec ce cœur où Dieu a investi un «placement» de son amour. Il peut arriver, hélas, qu'en usuriers, on capitalise pour soi les fruits produits avec le temps. Jusqu'à penser qu'en tuant les serviteurs, fils et filles, on aurait l'héritage, la vigne elle-même. Comme si on pouvait un jour s'approprier, sans le détruire, l'univers entier, ce corps de Dieu!

Comment donc toucher à la part d'héritage déjà reçue? En consentant à être frères et sœurs de Jésus, cohéritiers avec lui pour devenir, en lui, les fruits de la vigne tant désirée du Père. Toute la banque d'amour est à nous avec le mot de passe: «Né pour aimer!»!

Mt 22, 1-14 : Quel vêtement faut-il?

De quel enfant célèbre-t-on le mariage, quel repas savoureux veut-on offrir à tout prix quand on remplace les invités récalcitrants par des «quidam» au banquet des noces? Que dire des invités qui refusent! Ils n'ont pas le temps ou bien ils en veulent au roi au point de se débarrasser cruellement de ses émissaires! Et ces autres, bons ou mauvais rencontrés à la croisée des chemins, qui n'y comprennent rien et qui, surpris, curieux peut-être, se retrouvent ensemble au hall du festin!

Le plus déroutant de l'histoire, c'est l'importance du vêtement de noce. Comment les gens de la rue, rassemblés par défaut, peuvent-ils être sur leur trente-six? L'habit dont il est question est sûrement autre chose qu'un juste agencement de tissus. Mais c'est quoi?

Plus j'y pense, plus je crois qu'il s'agit d'une disposition intérieure qui habille le cœur. Les personnes qui ont décliné l'invitation ne devaient pas l'avoir. Et, parmi les personnes amenées, un pauvre homme, forcé à venir, ne l'a pas non plus. D'ailleurs il n'a que le silence comme réponse au reproche qu'on lui adresse.

Quel modèle de vêtement convient donc à la noce? À partir de l'expérience des rassemblements de fête, j'imagine, pour ma part, que ce pauvre mec devait être quelqu'un qui, une fois entré, demeurait enfermé dans ses ténèbres intérieures, sans avoir le cœur à la fête ni le corps à la danse. Seul dans son coin, comme un boudeur, poings et pieds liés, alors que la fête est commencée! C'est pire que d'être laissé dehors!

Abandonné à lui-même, peut-être que le mouvement des autres, comme un bon souffle, ravivera le feu qui couve à l'intime de lui. Pourront alors se délier, à partir du dedans, ses mains et ses pieds. Peut-être sera-t-il prêt pour la dernière danse du feu!

Mt 22, 1-14 : S'il s'agissait d'y goûter!

Que voulait-on offrir au repas de noces pour remplacer les convoqués récalcitrants par des «quidam»? Que dire des invités qui disent manquer de temps? Qu'ont-ils contre le roi pour tuer ses émissaires? Que penser de ces «n'importe-qui» qu'on entasse de force!

Détail intriguant : le vêtement de noce! Comment des pauvres seraient-ils trouvés sur leur trente-et-un? Le vêtement exigé n'est sûrement pas morceau de tissu. Plus je médite, plus je découvre qu'il s'agit d'une disposition du cœur. Les personnes qui ont refusé l'invitation n'avaient pas cette disposition. Un homme, parmi ceux forcés d'entrer, ne l'a pas non plus. J'aime contempler ce mec. Prisonnier de ses interdits mais forcé d'entrer, il se refuse toute participation! Il n'a guère le cœur à la fête ni le corps à la danse. Abandonné à ses démons, qui sait si le mouvement des autres n'habillera pas son cœur du voile de cette dignité dont il se croyait déshabillé! Mains et pieds pourraient alors se délier.

Le plus mystérieux : la noce du fils elle-même! Comme le menu devait être soigneusement préparé pour que le roi décide d'obliger tout venant à s'en gaver au lieu de le jeter! Le fils, amoureux des carrefours, aurait-il désiré inviter chez lui ceux qu'il discernait être enfants de son père? Se pourrait-il que le refus des «invités de droit» donne le feu vert au roi pour exaucer le désir du fils? S'ils peuvent seulement goûter au menu, ces pauvres maintenant  ttablés avec celui qui les enveloppe d'un regard fraternel! Si jamais celui qui marine dans son indignité peut capter, de ses coulisses, une parole de compassion!

Jésus nous désire toujours «d'un grand désir» un repas de ses noces! Tant d'habitués s'esquivent! Heureuse personne qui pourrait être forcée d'y goûter!

Mt 22, 15-21 : De qui est l'effigie?

Les Pharisiens se concertent avec les partisans du roi en vue de piéger Jésus. Ils énumèrent ce qu'ils croient savoir de lui: vrai comme il est, il enseigne le vrai chemin de Dieu, ne se laisse influencer par personne, ne fait pas de différence entre les personnes. Il faut le piéger…

Le piège tendu? Est-il permis à un Juif de payer, oui ou non, l'impôt à César? Libre de toute peur, Jésus dévoile l'hypocrisie de ses interlocuteurs et, gardant le cap sur l'amour, oriente vers le vrai chemin.  Il demande à voir une pièce de monnaie et qu'on nomme l'effigie dont elle est frappée. «De César!», reconnaissent les «trappeurs». La parole de Jésus est limpide. La pièce de monnaie montre la figure de César? Qu'on la rende donc à César et, par lui, espérons-le, au peuple!

Chaque personne a plusieurs couches, souvent superposées, d'appartenance. Mais, au-delà de ce qui nous différencie, nous sommes tous burinés, à l'origine, de la même effigie: celle de Dieu lui-même. Un jour, après avoir rendu ce qui revient aux divers groupes d'appartenance, nous rendrons à Dieu ce qui est à lui: le souffle! Que les pharisiens rendent aux pharisiens ce qui leur vient d'eux; les partisans du roi, au roi; les sujets de César, à César.

Ah! si nous pouvions tous accueillir, de notre identité commune et de nos différences, la grâce de bâtir un monde plus humain!  Sinon, nous décidons puis agissons à partir de nos seules différences et divisons au lieu d'unir! C'est peut-être cela l'hypocrisie: vivre en deçà (=hypo) de son inaltérable identité! Tout est à nous, dit saint Paul, mais nous sommes au Christ et le Christ est à Dieu. La terre, l'Univers aussi bien entendu, car tout est harmonisé par le même Souffle!

Mt 22, 15-21: Jésus, quel est ton avis?

Les Pharisiens se concertent avec les partisans du roi en vue de piéger Jésus. Ils commencent par le complimenter en lui disant qu'il est vrai, qu'il enseigne le vrai chemin de Dieu, ne se laisse influencer par personne, ne fait pas de différence entre les personnes. Puis ils lui demandent un avis pour l'attraper : est-il permis à un Juif de payer l'impôt à César?

Libre de toute influence, Jésus ne mord pas à l'hameçon. Il demande à voir une pièce de monnaie et fait nommer l'effigie dont elle est frappée. «De César!», reconnaissent les «piégeurs». Jésus répond simplement : la monnaie montre la figure de César? Qu'on la rende donc à César et, par lui, peut-on l'espérer, au peuple!

Chaque personne développe plusieurs appartenances, souvent superposées : famille, culture, religion, parti politique, etc. Chaque appartenance réclame sa part, sa cotisation. Que les pharisiens rendent donc aux pharisiens ce qui vient d'eux; les partisans du roi, au roi; les sujets de César, à César...Mais, au-delà de ces appartenances difficilement harmonisées, tous les humains sont burinés, à l'origine, de la même effigie : celle de Dieu. Cette appartenance originelle n'est pas inscrite dans les CV! Mais un jour, après avoir redonné à ses divers groupes d'appartenance ce qui leur revient, chaque personne rendra à Dieu ce qui est de lui : une vie accomplie!

Tous les chemins mènent à Rome mais pas nécessairement à Dieu. Comme Jésus ne se laisse pas influencer, qu'il ne fait pas de différence entre les personnes, il garde le cap sur l'unique chemin vers Dieu quand il répond aux interlocuteurs. L'effigie de Dieu, dont sont marqués tous les cœurs d'hommes et de femmes, dont les Pharisiens, elle indique la voie du cœur : celle de l'amour.

Mt 22, 34-40 : Que circule l'eau vive!

Les pharisiens reviennent piéger Jésus. Fin connaisseur du nombre de lois ajoutées à LA Loi, un pharisien, docteur de la loi, pose à Jésus la question-épreuve : «quel est LE grand commandement?». Jésus rappelle simplement les paroles proclamées, depuis longtemps, dans le temple et les synagogues, paroles originellement gravées dans les cœurs : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit; c'est le grand commandement. Le deuxième lui est semblable : «Tu aimeras ton prochain comme toi-même». Jésus unit ces deux commandements en un seul : celui de l'amour.

Aimer n'est pas une commande qui vient de l'extérieur. C'est du dedans que vibre, dès la naissance, l'inépuisable désir d'aimer et d'être aimé. D'où vient ce désir plus grand que nature? D'où vient ce qui, dans chaque être humain, donne naissance et garde en vie? Ne sommes-nous pas branchés sur une Source-mère, partageant avec elle le même «mandat» : celui d'aimer!

J'ai demandé à des personnes intellectuellement handicapées comment un ruisseau connaît sa source. Une femme répond illico: «C'est la même eau!». Quelle belle réponse! Tous, toutes de la même eau! Jean peut bien répéter que quiconque aime connaît Dieu, parce que né de Dieu. Les êtres humains «co-naissent» de Dieu comme des ruisseaux «co-naissent» d'une même source.

L'Amour est l'eau vive qui coule de Dieu pour circuler dans tous les ruisseaux que nous sommes. Oublier que l'amour, don d'une même Source-mère, est celui qui circule entre tous c'est risquer la folie, souvent meurtrière, d'opposer amour des autres à l'amour de Dieu. 

Par trois fois, Jésus dit à Simon-Pierre: «Si tu m'aimes, prends soin de mes brebis!». Il n'y a qu'un Amour! Il veut circuler, ouvrir des réseaux de ruisseaux à l'infini!

Mt 23, 1-12 : Attention! Danger!

            Plusieurs fois piégé par les scribes et les pharisiens, Jésus met la foule et les disciples en garde contre leur manière d'être et de faire. Il n'y va pas avec le dos de la cuillère quand il nomme ce que tous remarquent, tellement c'est évident!

            Il le fait pour demander à qui l'écoute de ne pas imposer à d'autres des fardeaux qu'on ne peut porter soi-même, ne pas s'arranger pour être remarqué en portant des «attire-l’œil», ne pas courir après les places d'honneur, les premières places dans les lieux de culte, les poignées de main sur les places publiques, les titres qui en imposent.  

C'est tellement facile de voir ces tendances ou tentations de pouvoir chez les autres! Et ce n'est guère évident d'échapper au «levain des pharisiens». Mais ne craignons pas, Jésus va bientôt parler dans les yeux aux scribes et aux pharisiens, les interpeler vivement pour les réveiller si possible avant qu'il ne soit trop tard.

Demandons pour nous la grâce de nous laisser vraiment affecter par ce que Jésus propose aux siens pour marcher avec lui dans la voie de l'amour. Il rappelle simplement qu'étant frères et sœurs nous avons à vivre en conséquence: ne donner à personne le nom de père car nous n'avons qu'un seul Père; ne pas réclamer le titre de maîtres, car, toujours vivant, Il est notre seul Maître. Et quiconque désire être plus grand, qu'il serve davantage car qui s'élève par soi-même risque, malheureusement, de tomber de son escabeau!

            Comme Il faut aimer quelqu'un pour lui faire un massage cardiaque! Jésus aime sûrement les pharisiens car, pour les voir manquer ainsi à leur être de vivants, il les tient contre leur gré la tête dans le vent, selon l'expression de Saint-John-Perse!

Mt 24, 37-44 : Veillez donc!

De multiples voix contemporaines nous lancent un appel urgent en écho à celui de Jésus qui revient en début d’Avent. Cet appel touche précis à notre attente parfois angoissée qu'il advienne quelque chose de neuf dans notre monde. Mais attention! Car ce qui vient c'est souvent tout petit en son commencement et fragile comme un nouveau-né.

Quelqu'un nous a dit qu'il viendrait sans cesse sous de multiples visages. Nos yeux sont souvent empêchés de le reconnaître. Lui faut-il, comme fait un voleur, défoncer nos agendas, nos préjugés, nos murs de protection pour entrer chez nous? Il n'est certes pas facile de faire confiance quand ce quelqu'un se présente incognito au cœur de nos nuits. À moins que nous ne lui ayons confié une clé, comme à un ami, pour entrer chez nous à toute heure. Car il espère entrer chez nous comme chez lui l'Enfant de notre Humanité…

Quand il vient, nous trouve-t-il comme au temps de Noé, engloutis, sans même nous en rendre compte, dans une mer de consommation? Ou, éveillés, nous serrant les coudes, dans une arche fragile qui surnage et sauve ce qui est humain? Nous pouvons avoir le même travail et, nous le savons bien, avec ce même boulot, être pris jusqu'au cou, esclaves de «nos affaires» ou encore réserver un espace libre pour l'inattendu, l'imprévu. Il arrive même que c'est chez des personnes déjà très engagées qu'on ose se présenter quand on est dans le besoin, car on sent leur cœur libre, ouvert.

Demeurons donc éveillés car il vient! «Le jour, la nuit, l'été, l'hiver, il faut dormir le cœur ouvert!», chante Gilles Vigneault.

Mt 24, 37-44 : Viens chez-nous Jésus!

De multiples voix s'élèvent en écho à l'avertissement de Jésus pour qu'advienne quelque chose de neuf dans notre monde: comme une fleur dans le macadam, un sourire de nouveau-né. Un tonique pour notre déficit d'espérance!

Jésus nous a confié sa maison. Il a dit qu'il se présenterait un jour ou l'autre. Quand il se présente, sous de multiples visages, nous trouve-t-il comme au temps du déluge, engloutis, sans même nous en rendre compte, dans une mer de consommation? Ou, éveillés, nous serrant les coudes, dans une arche qui surnage et abrite les semences d'humanité? Nous le savons bien, avec un même boulot, les un-e-s sont pris jusqu'au cou par «leurs affaires», d'autres gardent un espace pour l'imprévu. Il arrive même que c'est chez des personnes déjà très engagées, ouvertes à leurs semblables, qu'on ose frapper quand est dans le besoin, car on sent leur cœur libre, compatissant. 

Mais je me pose quand même une question au sujet du maître de maison qui revient à l'improviste. Comment n'a-t-il pas prévu garder une clé maîtresse pour entrer chez lui? Au moins le code de cette clé en cas de perte... Serait-ce alors possible que le gérant de la propriété ait changé la serrure de la maison? Aurait-il voulu s'accaparer le titre de propriétaire? Et une fois son maître appréhendé comme un possible voleur, verrait-il en lui une menace?

Heureusement, Jésus ressuscité est entré chez ses disciples apeurés alors qu'ils étaient verrouillés derrière des portes closes... Il a même dû leur rendre visite deux semaines de suite, car il en manquait un la première fois. Même si nous avions changé la serrure, le souffle de Jésus entre par une simple fissure et ranime la braise... Viens, Jésus! Notre maison, en définitive, c'est la tienne!

Mt 25, 1-13 : De l'huile svp!

Toutes invitées aux noces les «jeunes filles»! Toutes parties à la rencontre de l'époux! Toutes assoupies et tombées endormies parce que l'époux tarde à venir! Qu'est-ce qui fait donc que cinq d'entre elles sont qualifiées de sages et les cinq autres, d'insensées? Qu'est-ce qui fait que cinq entrent dans la salle des noces et que les cinq autres, arrivées plus tard, ne sont même pas reconnues par l'époux qui, lui, a quand même tardé à venir?

Pas toujours faciles ces paraboles qu'invente Jésus pour parler de sa venue! Mais, avec le Souffle promis, je désire me laisser toucher, car c'est pour nous que Matthieu a écrit. J'accueille aujourd'hui, important pour ma vie, l'appel pressant à demeurer branchée à ma source et de compter sur elle pour garder mon cœur en état de veille même quand je dors. La différence entre les deux groupes de jeunes filles est dans cette nuance: les sages ont apporté de l'huile avec leur lampe; les autres, non. Huile qu'on ne peut acheter chez les marchands. Et à quoi bon une lampe, même de cristal, si elle est asséchée?

Reliée à ma source, jour et nuit, je désire être toujours prête à entrer dans la beauté féconde des rencontres. C'est toujours l'heure d'aimer! Que l'Époux se présente par la beauté du monde, le visage d'un enfant ou le cri d'un laissé-pour-compte, le chant du vent ou celui de l'oiseau, la misère du mendiant ou celle du riche, un cœur qui veille flaire sa présence et entre dans la danse. Je compte sur toi, mon Dieu, mon cœur est vierge! Que s'éveillent mes sens!

Aujourd'hui, je suis invitée, même plus «vieille» d'âge, à discerner à quelle fontaine de jouvence je demeure branchée car je désire tellement, avec Jésus, aimer jusqu'au bout!

Mt 25, 14-30 : J'ai eu peur...

Que devient LE don qui fait de chaque personne un être unique dans le monde? Quel est ce don si bien partagé que chaque personne est un cadeau pour les autres? Plusieurs l'ont heureusement découvert. Nana Mouskouri chante : «J'ai reçu l'amour en héritage»; Jacques Brel : «Quand on n'a que l'amour à offrir en partage»!

Nous avons généreusement déployé les dons reçus pour l'activité humaine. Pour en avoir reçu cinq, nous en avons sûrement développé cinq autres! Le chiffre 10 représente la totalité des activités humaines. N'avons-nous pas doublé les dons reçus pour la communication? À partir des deux reçus pour dialoguer l'un-e avec l'autre, nous avons habilement développé d'autres dons pour communiquer, dans un instant record, avec des personnes des quatre points cardinaux? Mais le don qu'est l'amour et qui donne un nom unique à chaque personne, le don que chaque personne EST, l'aurions-nous enfoui par peur?

Je me suis longtemps demandé pourquoi Jésus parle de banque à celui qui, avouant avoir eu peur, a enfoui le don reçu. Je prends conscience que le don de l'amour est un placement de lui-même que Dieu investit, en exclusivité, au cœur de chaque être humain. Ce don inné ne se développe pas à la force de nos poignets et de nos intelligences. Comme tout placement en banque, il croît par lui-même grâce aux placements de chacun, de chacune. L'amour ne fait pas que doubler, il s'accroît sans cesse quand il est investi au fur et à mesure qu'il est reçu. «Si je réussis à aider une seule personne à vivre mieux, cela justifie déjà le don de ma vie» (Pape François). Merci à la personne qui m'a posé cette question la plus 'chamboulante' de ma vie : «Pourquoi avez-vous peur d'aimer?» 

Mt 25, 31-46 : Quand t'avons-nous revêtu, visité, nourri?

Le Roi que nous fêtons affirme qu'aimer les siens c'est l'aimer, lui. Comment une personne, même roi, dont on n'aime pas le corps pourrait-elle se sentir aimée? L'Évangile nous propose de réfléchir à cela. Celui qu'on appelait Emmanuel, c'est-à-dire Dieu-avec-nous, devenu l'un de nous, s'appelle Jésus. Revenu d'Égypte, on le nomme «nazaréen». Avant de mourir, il nous révèle sous quel nom le reconnaître désormais: celui de nos sœurs et frères humains. Quel croyant pourrait prétexter qu'Il ne savait pas! Surgi du tombeau, le ressuscité se fait corps de notre chair jusqu'à s'identifier à tout être humain.

Une parole-glaive, très souvent rappelée, m'atteint chaque fois au vif: «Ce que vous faites aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites». Dieu a ses entrailles qui frémissent! Il ressent donc en lui ce que nous acceptons ou refusons de faire les uns, les unes pour les autres. Les «indignés de la terre», sans le conscientiser, rappelleraient-ils cela mieux que les grands parleurs, souvent décideurs du sort des humains? Tant de personnes sont victimes impuissantes de la cupidité aveugle des autres! Ne sommes-nous pas témoins, chaque jour, du rejet des prophètes, donc du jugement de l'histoire?

Des paroles de saint Basile (4è s.) me mettent aussi mal à l'aise: «Il appartient à celui qui a faim, le pain que tu gardes; à celui qui est nu, le manteau que tu conserves dans tes coffres; l'argent que tu tiens enfoui. Ainsi tu commets autant d'injustice qu'il y a de personnes à que tu pourrais donner!» Radicalisme dépassé?

Le Roi que nous fêtons aujourd'hui désire célébrer avec nous. Il est revêtu de notre fragile humanité! L'accueillons-nous dans son corps actuel, avec ses innombrables noms. Est-il drapé d’or ou pauvrement vêtu?

 

Mt 26, 14-27, 1-66 : "Mon Dieu, mon Dieu! Pourquoi?"

Plus j'écoute ce cri de Jésus plus je comprends combien quelqu'un peut se sentir abandonné de Dieu quand il est largué par ses proches, par les personnes sur qui il comptait le plus. À quoi bon alors un Dieu sourd-muet lui aussi quand on soupire d'entendre sa voix même tout bas, tout bas? Un Dieu qui a promis que même si une mère abandonnait son enfant, lui jamais! Pourtant, j'aime contempler Jésus drapé du silence de Dieu, criant, avec tant de frères et de sœurs: «pourquoi m'abandonner, mon Dieu?».

Je revois une femme rencontrée dans un autocar. Elle lisait sur mon teeshirt l'expression imprimée à la verticale : «Célébrer une présence»... Ses yeux croisant les miens, elle dit : «Si seulement on sentait cette Présence!». «C'est vrai, lui dis-je, elle est parfois camouflée par les nuages». Au bout d'un temps, nos yeux se rencontrent à nouveau : «Si les nuages pouvaient s'ouvrir un peu!», soupire-t-elle. Quittant l'autocar, je la touche et lui dis : «madame, je vais penser à vous, c'est promis». Je tiens encore promesse, je lui donne rendez-vous dans la Présence et d'autres visages concrets s'ajoutent... et s'ajoutent encore, défigurés par la souffrance, le sentiment du vide!

J'avoue cependant en arriver à croire, à mes dépens, que Dieu est peut-être le seul à ne pas s'inquiéter de nos angoissantes nuits sans étoile. Sinon, comment pourrait-on spontanément crier vers Dieu comme on crie «maman»? Une mère oublie-t-elle son enfant? Dieu peut se permettre d'être discret, caché même, car il EST et il connaît les clauses de notre assurance-Vie! J'aime quand même ce Dieu libre qui n'impose pas sa Présence... quitte à le sentir froidement absent parfois! «Dieu est là et je ne le savais pas» s'est écrié Jacob, mon frère de combat. 

Mt 28, 16-20 : Relation à trois!

Quand une personne parle de ses amours, elle révèle avec qui ou avec quoi elle est en bon ou en mauvais terme. Ainsi, je réalise chaque jour que l'amour est aptitude à la relation! Puisque nous affirmons avoir été créés à l'image d'un Dieu-Amour, faut-il nous surprendre que Dieu soit relation! Nous sommes, par création, des êtres-de-relation. Engendrés dans une rencontre à trois, deux cellules et le Souffle créateur, nous vivons grâce à un incroyable réseau de relations car la vie est fruit de rencontres. 

La vie est transmise, gratuitement, dans une rencontre amoureuse. Encore faut-il, à chaque respiration, dire son oui à la vie et espérer avoir du souffle pour durer. Si nous sommes à son image, Dieu doit bien être relation. Donneur de vie, nous l'appelons Père; oui total à la vie reçue, nous l'appelons Fils; il est aussi Souffle qui fait que la relation demeure. Si baptiser un enfant reçu de Dieu, c'est le plonger dans notre foi en ce réseau divin en qui je me reconnais et le reconnais, je trouve cela merveilleux!

Ce n'est pas géométrique de connaître Dieu relation à trois! Être en relation, c'est être trois. Il y a moi, l'autre et... la relation. Je prends soin de moi, je prends soin de l'autre personne qui prend soin d'elle et prend soin de moi; mais, toutes les deux, nous prenons soin de la relation... Prendre soin de la relation, c'est porter attention à son milieu de vie, aux mille détails de la vie quotidienne.

C'est tout faire pour assurer la durée. L'ambiance tient à si peu de chose. Nous sommes uns en Dieu, car, dans le Fils, tous fils et filles du Père, nous sommes reliés à jamais par le même Souffle d'amour... Que dire après cela?

Mt 28, 16-20 : « Église EN sortie»!

Les disciples sont en Galilée, lieu de leur premier appel, là où Jésus leur a donné rendez-vous à nouveau avant de disparaître à leurs yeux. Entre foi et doute, ils sont mystérieusement approchés par Jésus qui leur commande de façon ferme : «ALLEZ!». Voilà «l'Église EN sortie» chère au pape François! Jésus les envoie faire des disciples, prenant soin de leur faire connaître le seul pouvoir reçu du Père, celui d'aimer.

Comment appeler d'autres personnes à emprunter la voie de l'amour sans vivre d'abord, comme Jésus, l'expérience bouleversante d'un amour qui sauve de toute désespérance et urge à sortir vers l'autre? Que les disciples ravivent la grâce de leur première rencontre quand ils ont laissé leur père pour celui de Jésus, qu'ils sont passés de deux paires de «frères» à un seul groupe de frères avec Jésus. Qu'ils se souviennent : il a dit qu'il ferait d'eux des pêcheurs d'humanité dans le vrai monde où ils seraient plongés non pour juger leurs contemporains ni les prendre dans des filets mais pour les délier et les envoyer respirer au large!

Disciples d'aujourd'hui, n'oublions jamais sa promesse d'être présent avec nous jusqu'à l'accomplissement de l'histoire. Avec nous quand nous sommes dans les filets du mal, dans le tunnel de la mort? Oui, même là, Il est avec nous parce qu'au plus secret de nous! N'est-ce pas dans des culs-de-sac que plusieurs personnes, telles des Jonas, ont expérimenté sa Présence? L'Emmanuel, Dieu-avec-nous, a pris nom humain : Jésus/Sauveur. Il a pris nom d'incarnation géographique : Nazaréen. Maintenant il prend nom de chair de chacune, de chacun de nous : «ce que vous faites au plus petit des miens, c'est à moi que vous le faites!». Sortons! Sortons vers les périphéries pour offrir un cœur brûlant d'une Présence!

Mt 28, 16-20 : Il est avec nous, mais où?

Les disciples que Jésus rencontre aujourd'hui en Galilée forment une communauté qui nous ressemble. Elle avance entre la foi qui la fait se prosterner et le doute qui la force à avancer vers un ailleurs au lieu de demeurer prosternée en disant «Seigneur! Seigneur!».

Jésus envoie ses disciples faire d'autres disciples, il partage avec eux le seul pouvoir reçu du Père, celui de l'Amour. Faire des disciples, ça doit vouloir dire qu'on invite tous les autres à s'engager résolument avec nous dans la voie de l'Amour, les yeux fixés sur Jésus. Et pour tenir la route, découvrir ensemble que nous faisons partie prenante du réseau de relations qui se vit en Dieu. Être disciple, c'est adopter le Père de Jésus et, animés de son souffle, passer de petits ilots de «frères séparés» à la communauté de frères et de sœurs. Être envoyés comme disciples, serait-ce plonger avec Jésus dans le monde où nous sommes non pas pour juger nos contemporains ni les prendre dans des filets, mais pour nous déprendre mutuellement de nos filets et nous inviter au large?

Avec une assurance: Il est avec nous jusqu'à l'accomplissement de l'histoire. L'Emmanuel, Dieu-avec-nous, a pris nom humain: Jésus. Il a aussi pris nom d'incarnation dans un lieu précis, Nazaréen. Maintenant il prend nom de chacun, de chacune de nous: «ce que vous faites au plus petit des miens, c'est à moi que vous le faites!». «Qui vous accueille m'accueille»!

Avec nous même quand nous sommes dans les filets du mal, avec nous dans le passage que nous appelons la mort? Oui, même là, Il est vraiment avec nous. C'est d'ailleurs là que des personnes l'ont rencontré. «Où aller loin de sa face, où fuir loin de son Souffle?»