Marie de l'Incarnation avait raison de demander que jamais on isole Marie de Joseph. Aujourd'hui ce n'est pas une Marie esseulée mais une jeune femme en alliance de confiance avec Joseph que nous présente l'évangile. C'est par Marie fiancée à Joseph que nous est révélée notre identité, réponse au cri de Jean le Baptiste.
Celui que Marie porte en elle, par la puissance du Souffle divin, est grand en lui-même, il est fils du Très-Haut. C'est lui qui vient nous révéler qui nous sommes tous et toutes en lui: des fils et des filles nés de Dieu, nés pour marcher avec lui dans la voie de l'amour.
Cette page en est une des plus belles de l'évangile de Luc. Elle nous révèle la grâce des commencements qui est une chance de continuité pour un avenir à n'en plus finir. Cette grâce est de croire en la fécondité de la Parole de Dieu au point de consentir à faire des alliances de confiance entre nos différences et de nous offrir ensemble au quotidien pour que tout arrive dans l'humanité selon cette Parole.
Car tout ce qui est beauté d'humanité commence ainsi. Reconnaître qu'isolés entre humains et sans croire ensemble à la Parole créatrice de toute fécondité, nous ne pouvons mettre au monde une humanité qui soit belle, harmonieuse, porteuse d'avenir. Tout ce qui existe est le fruit d'une rencontre, dit un philosophe.
Marie, fiancée à Joseph, n'a pas vu la présence du divin, mais entendu une voix dans sa maison de Nazareth. Sans consulter qui que ce soit, elle a dit oui. Et, porteuse de Dieu, elle est partie en hâte vers Élisabeth, la stérile devenue mère quand Zacharie est rentré chez lui. Rien n'est impossible à l'Amour quand il y a fiançailles.
Marie, porteuse de Dieu, arrive en hâte dans la maison de Zacharie et salue Élisabeth. Il se passe de l'inouï... Nouveau baptême! Première Pentecôte! Première Église! Première béatification dans une Église domestique! L'enfant-surprise que porte Élisabeth depuis six mois n'oubliera sûrement jamais, dans sa mémoire de chair, cette première rencontre avec Jésus. Un vrai baptême de feu! Plus tard, il fera tout pour conduire ses disciples à la personne de Jésus.
Tant qu'il y aura deux personnes qui se rencontrent et se partagent ce qu'elles portent de nouveau dans la profondeur de leur être, nous aurons une Église. La vie tressaillira de joie! Car Dieu peut féconder ce qui ne l'a pas encore été mais aussi ce qu'on croit devenu stérile. Rien n'est impossible à un Dieu Amour!
Mais qu'arrive-t-il à Zacharie pendant que les deux femmes exultent? Il est muet depuis qu'il n'a pas cru en la parole de l'ange. Marie, elle, est proclamée bienheureuse pour y avoir cru! J'avoue être sensible à la présence de Zacharie dans sa propre maison, témoin muet de l'exubérance des femmes enceintes. Il semble être sourd aussi puisqu'il sera bientôt noté qu'on lui parle par signes et qu'on lui apporte une tablette pour qu'il exprime par écrit son avis sur le nom de l'enfant!
Il me semble que Zacharie descend dans la profondeur de ses entrailles pour être engendré à la foi! Il n'a pas cru la parole de l'Ange. Son épouse, trop âgée, ne pourrait pas enfanter! Mais il consent, lors de la circoncision de leur enfant, à ce que son nom, donc son identité, soit donné, non par lui, mais par Dieu. Alors sa langue se délie. Maintenant plein de souffle, ému, il proclame enfin sa foi.
Zacharie est muet depuis plus de neuf mois! Plus de parole en sa bouche pour n'avoir pas cru en l'accomplissement de la Parole entendue dans le temple de Jérusalem où il officiait. Mais il s'est passé bien des choses depuis ce jour où, quittant le temple, il entra chez lui
Tout d'abord, son épouse Élisabeth, stérile et âgée, devient enceinte. Marie, fiancée à Joseph, mystérieusement enceinte elle aussi, se présente dans sa maison. Sourd et muet, il voit exulter ces deux cousines et l'enfant que porte son épouse tressaille de tout son être à la salutation de Marie. Sa maison est désormais temple de Dieu.
Mais quel nom donner à cet enfant-surprise né de lui et d'Élisabeth? Celui que donne la famille selon les coutumes? Mais non, pas cette fois, car l'ange a déjà annoncé qu'il s'appellerait Jean, nom qui, en hébreu, parle de grâce. Le jour de la circoncision, la parenté s'attend évidemment à ce que l'enfant ait le nom du père. Mais Élisabeth intervient et Zacharie demande une tablette pour y écrire: Jean est son nom... Zacharie, qui hésita à croire que Dieu, par son Souffle, peut rendre féconds à tout âge, accepte maintenant que le nom, donc l'identité de son enfant, est aussi donné par Dieu.
Rempli à son tour du Souffle divin, Zacharie retrouve la Parole, relit son histoire à rebours et loue Dieu avec des accents nouveaux. Il entrevoit clairement la mission de Jean: proclamer que Dieu a des sentiments de tendre compassion pour tous les humains et préparer ainsi la route à Jésus venu nous révéler, par tout son être, que Dieu n'est qu'Amour, que nous sommes né-e-s de lui pour aimer comme Lui et continuer son œuvre. Qui aujourd'hui aimerait entendre proclamer que Dieu n'est qu'Amour?
Un récit doux pour l'âme nous parle d'une naissance au passé pour raviver en notre cœur le désir d'une terre nouvelle aujourd'hui. Le rappel de la naissance de Jésus nous réchauffe l'espérance et, loin d'un certain romantisme autour d'une crèche, il désire tisonner le feu qui ne s'éteint pas.
Pourquoi une mangeoire comme berceau d'accueil et pourquoi les bergers comme premiers visiteurs? Une mangeoire, dit clairement le récit, parce qu'il n'y a pas de place dans la salle commune pour ces pauvres venus d'ailleurs en quête d'un endroit pour accoucher de leur premier-né. Pas de place libre pour eux! Dans tout son évangile, Luc insiste sur la place libre, sur cet espace de pauvreté qui permet d'accueillir la nouveauté de Dieu, ce qui, pour une terre nouvelle, commence en tout petit et en tout fragile.
Des bergers, parce qu'ils sont veilleurs de nuit, dit le récit. Ils écoutent, dans le silence de la nuit, ce que chantent les voix du grand et joyeux signe des temps. Affectés par le dedans, ils se mettent en marche pour voir ce qu'ils ont entendu. Ils trouvent un tout petit enfant, emmailloté, couché dans une mangeoire. Dans la suite de son évangile, Luc rappelle souvent l'importance de demeurer des veilleurs dans la nuit pour accueillir ce qui vient de Dieu, souvent à l'improviste, hors agenda et plan quinquennal.
Ne rangeons pas ce récit avec les boules de Noël. Où donc pourrions-nous célébrer Noël? Dans quelle mangeoire pour bœuf et âne trouverons-nous les signes d'une terre nouvelle? Qui écoute aujourd'hui, dans la nuit du monde, et se laisse toucher par l'écho des signes d'un temps qui peut devenir meilleur? Qui s'avance vers les espaces où sont les bourgeons d'une humanité plus juste, plus fraternelle?
Que de bénédictions depuis notre naissance! Que de bénédictions ont traversé le temps et l'espace pour venir toucher notre cœur au bon moment! Comme, par exemple, celle que Dieu lui-même a confiée à Moïse pour qu'elle devienne celle d'Aaron et ses descendants: "Que le Seigneur te bénisse et te garde! Qu'il tourne vers toi son visage, qu'il se penche vers toi et t'apporte la paix."
Quand j'écoute bien les souhaits qui me sont adressés au début de chaque nouvelle année, je suis touchée d'y reconnaître quelque chose de la bénédiction qui vient du cœur de Dieu car je suis sûre qu'elle est toujours sur les ondes. Elle passe par le cœur de chaque personne, se transmet dans une poignée de main, un regard qui se donne du temps, un souhait qui touche au bon endroit, à la bonne heure.
Quand je contemple les bergers avec Marie, Joseph et leur bébé à peine né, j'ai le sentiment d'être invitée dans une maison pleine de la bénédiction de toutes les générations passées, présentes et à venir. À genoux, j'accueille l'enfant comme la plus attendue des bénédictions. Le contempler et le laisser poser sur moi son regard, ça vaut toutes les paroles du monde, ça fait tellement de bien! J'en arrive à croire que la présence de Jésus, même muet, est la Parole de bénédiction qui contient toutes les autres.
Alors, comment nous souhaiter de nous rendre présents à la Présence de Jésus au quotidien de nos vies! Que nous reconnaissions son visage quand il le tourne vers nous et accueillions sa tendresse, sa joie et sa paix quand il nous les offre en silence. Et que nous prenions le temps de tout ruminer cela dans nos cœurs!
Beau rendez-vous d'humanité au temple! Grâce à l'offrande d'un enfant nommé Jésus. Première messe sur le monde! Messe apparemment présidée par un homme et une femme qui ministères d'accueil, de bénédiction, de prophétisme. Mais, à bien y penser c'est celui qu'on présente, Jésus, qui préside à tout!
Siméon, dont le nom signifie «qui écoute», vient au temple, poussé par l'Esprit. Prenant l'enfant dans ses bras, il reconnaît en lui la lumière depuis longtemps espérée. Consolé, il peut mourir en paix, l'avenir des nations est assuré. Il bénit les parents et prophétise que leur enfant, comme tout enfant, fera souffrir car il remettra en question les certitudes acquises. Anne, dont le nom hébreu signifie quelque chose de la «grâce», est, comme la grâce, permanente présence de gratuité au temple. Survenue à temps, elle voit dans l'enfant non seulement une consolation mais une délivrance. Elle va parler de cet enfant aux hommes et aux femmes qui espèrent une délivrance comme on attend une naissance!
Quels beaux personnages pour cette première messe! Merveilleuse harmonie entre hommes et femmes, passé et avenir, pauvres et riches, parole et action! Harmonie réalisée par la présence d'un enfant. Amené par un couple de pauvres, offert à Dieu comme un pauvre, reconnu, accepté par les habitué-e-s du temple, Jésus retourne à Nazareth pour y grandir devant les siens comme devant Dieu et s'exercer à regarder chaque personne rencontrée en priant «NOTRE» Père. Il sera offrande accomplie quand, le voile du temple déchiré, sa véritable identité sera manifeste: Fils de Dieu, rassembleur d'une multitude d'hommes, de femmes!
Jésus ressuscité s'offre encore dans et par l'offrande sacrée de nous-mêmes, il préside au don quotidien de nos vies. Puissions-nous ajuster notre regard au sien pour prier en vérité : «NOTRE» Père!
Cette question que Marie, toute angoissée, pose à son enfant de douze ans, je l'ai souvent entendue! Avec l'autre parole: «Vois, nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi!». Jésus n'a pour seule réponse : «Pourquoi m'avoir cherché? Vous ne savez pas? Je dois être chez mon Père!». Marie et Joseph ne comprennent pas! Jésus n'est plus parmi leurs connaissances et leur parenté, mais au milieu des docteurs de la Loi, bouches bées devant lui, car il en sait des choses, ce jeune!
Quand je rencontre des jeunes qui préparent leur confirmation, je raconte cette histoire. On leur dit qu'ils sont assez grands pour prendre des responsabilités. Mais on est tellement surpris s'ils le font! Ils savent des choses qui souvent dépassent leurs parents. Ils désirent quitter le giron familial pour le monde des grands. Au fond, ils agissent comme Jésus... et ça angoisse les parents qui les cherchent où ils étaient et ne les trouvent pas là. Ils sont d'un ailleurs qui les appelle, d'une autre famille dans laquelle ils ont été plongés à leur naissance. On leur signifiait alors, dans notre foi, qu'ils avaient un autre Père que nous...une autre famille, qu'ils ont leur vie à eux, leur voie à suivre. Les confirmer en communauté, c'est leur dire, même si cela nous coûte de les sentir nous échapper, qu'on fait confiance au Souffle qui vient d'un Autre, qui les a tissés au ventre des mères! Il sera leur force comme il est la nôtre!
J'invite les jeunes à essayer de comprendre leurs parents, leur angoisse, leur surprise. Mais, comme Jésus, à retourner chez eux. Et, conscients de ce qu'ils sont, de ce qui peut faire souffrir leurs parents, de leur être soumis librement tant qu'ils seront dans leur maison.
Les membres des divers gouvernements nommés dans l'Évangile d'aujourd'hui se devaient d'assumer la responsabilité des routes et infrastructures pour que les personnes puissent communiquer. Dieu demande pourtant à un homme du désert d'être la voix de celui qui crie pour que cela se fasse! Ce citoyen s'appelle Jean, enfant surprise d'un vieux couple : Zacharie et d'Élisabeth.
Jean parcourt la région et proclame à qui veut l'entendre que tous doivent s'investir eux-mêmes dans un nouveau mode de vie pour sortir de la bêtise humaine qui transforme le monde en désert de relations. À travers ce désert, une voix, des anciens prophètes jusqu'à lui, crie de réparer les réseaux de relations, de combler les distances entre les générations, entre les hommes et les femmes, les riches et les pauvres, les clercs et les laïcs, d'abaisser les exigences impossibles à atteindre pour plusieurs, de redresser ce qui fausse ou rend tortueuses les relations des humains avec Dieu et entre eux, celles des humains avec l'environnement. Tout cela pour que chaque personne puisse respirer au large et profiter du généreux souffle que Dieu renouvelle sans cesse.
C'est sûrement Dieu qui, de son haut lieu d'observation, observe au mieux le vaste réseau tissé par lui pour que l'amour circule librement entre les éléments de l'univers. Je comprends que c'est probablement lui qui crie par tous ces gens qui étouffent dans des milieux aux voies impraticables. Dieu n'est pas sans ressentir les occlusions d'amour, les bouchons de circulation dans son réseau de communications. Il voit sûrement les culs-de-sac, imagine les ponts à construire, les tunnels à creuser pour faciliter ou refaire les relations entre tous les humains. L'enfant porté par Marie fiancée à Joseph. nous dira : «Je SUIS le chemin», voix et voie de l'amour.
«Que devons-nous faire?» Question souvent posée par des personnes de tous âges et de toutes conditions. Dans l'Évangile d'aujourd'hui, elle vient des foules, des collecteurs d'impôts, des soldats. Jean répond : partager nourriture et vêtements, ne pas exiger plus que le montant fixé, ne faire ni violence ni tort à personne, se contenter de ce qu'on a.
On dirait que Jean vient de lire le prophète Michée qui, à la même question, répond: «On t'a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que Dieu réclame de toi : rien d'autre que d'accomplir la justice...» Mais je crois que Jean a lu la réponse du prophète jusqu'au bout, car il invite ses interlocuteurs à aller plus loin quand ils lui demandent s'il est celui qu'on attend.
Jean leur dit que lui baptise dans l'eau mais que celui qui vient les plongera avec lui dans le Souffle et le Feu qui jamais ne s'éteindra. Aux gens qui lui demandaient s'il leur fallait offrir des holocaustes et même le fruit de leurs entrailles pour plaire à Dieu, Michée a répondu : «ce que Dieu réclame de toi : ...aimer la bonté et t'appliquer à marcher avec ton Dieu» (Mi 6,8).
Jean pressent que quelque chose de neuf se prépare qui nous fera passer du «quoi faire» au «comment être». Noël, c'est Dieu qui nous donne le fruit de ses entrailles pour nous révéler à quel point nous sommes aimés. Depuis longtemps, il invite les hommes et les femmes, nés de lui, à être bons et à marcher avec lui dans la voie de l'amour. Si nous devenons comme Jésus des frères et des sœurs bien ajustés sur l'amour nous accomplirons la justice que Dieu réclame de nous. Que vienne Jésus tisonner le feu dans nos cœurs!
Solidaire de tout le peuple, Jésus vient d'être baptisé. Il prie son Père quand, soudain, le ciel s'ouvre. Le Souffle de Dieu descend sur lui dans la douceur d'un vol de colombe. Une voix lui dit tendrement : «C'est toi mon Fils!».
«Ouvre les cieux et descends!» Cette prière, depuis longtemps criée vers Dieu, est enfin exaucée! Une réponse est donnée à la question depuis longtemps ruminée : «Qu'est-ce que l'être humain, Seigneur, que tu en aies souci, que tu prennes soin de lui?». C'est pour nous que Dieu, à la fois père et mère, parle tout haut, car Jésus prend tous les humains en lui. À chacun, à chacune de nous, en Jésus, Dieu déclare : «Tu es mon fils!» «Tu es ma fille!». Cette Parole est toujours en ondes. Heureux, heureuse qui l'entend et l'accueille! Sa vie bascule!
Aucun autre nom (étiquette, titre, orientation sexuelle, etc.) reçu à l'horizontale, ne peut nous identifier en vérité. Notre identité, celle qui fait notre dignité, elle nous vient de la verticale. «Tu es mon fils; tu es ma fille»! Nous ne sommes pas ce que l'entourage pense ou dit de nous, en bien ou en mal. Nous sommes fils et filles de la famille d'un Dieu tout aimant! Nous ne serons jamais des ex-enfants de ce Dieu! À chaque instant, dans les moments de joie, dans les moments de détresse, nous pouvons, avec Jésus, écouter Dieu confirmer, dans la profondeur du coeur : «tu es mon fils, tu es ma fille!».
Si nous entendons cette déclaration d'amour, demandons ardemment la vraie sagesse, celle de Dieu qui est amour, afin de voir en chaque personne, un frère ou une sœur à aimer. Fréquentons discrètement Jésus pendant ses années de «vie cachée» alors qu'il devient cette sagesse.
La foi n'est sûrement pas un défi lancé à Dieu! Plutôt la confiance que Dieu traverse avec nous, en nous, les épreuves. J'estime qu'une des plus grandes souffrances de Jésus a dû être celle d'être tourné en dérision dans son identité même.
Le piège tendu à Jésus par le diable, d'autres le tendront. Ses frères lui diront d'aller faire ses prouesses à Jérusalem s'il est si bon que ça! Pierre va rouspéter quand Jésus parlera de la souffrance qui l'attend. Il le priera, un jour, de le faire marcher sur les eaux pour ensuite caler de peur. Sur la croix, on atteindra Jésus au vif de son identité de fils de Dieu en le défiant de descendre de là, de se sauver avec ses compagnons! Ah! Les «si» de défi qui atteignent le meilleur de nous-mêmes qui est aussi le plus vulnérable! Surtout s'ils viennent des intimes! La foi en Dieu et en ce que nous sommes ne fait pas de nous des «faiseurs de prodiges». Elle n'est pas une assurance contre l'impuissance, la fragilité humaine!
Jésus ne nous dit pas que croire en Dieu, c'est passer par-dessus, en dessous, à côté de la souffrance, de la mort. Il nous révèle que nous avons ce qu'il faut pour passer dedans et sortir en vie. Dieu n'est pas inquiet de voir son Fils dans notre galère, il ne lui répond pas quand, sur la croix, il crie vers lui. Dieu sait que ce qu'il a semé en lui, en nous, de son souffle d'amour accomplira sa mission. Cette Présence est sa seule promesse. Logée en nous, nous marchons par elle et avec elle. «Au plus profond de la mer, même là (sa) main me conduit!»
Comment les «habitués» de la synagogue de Nazareth sont-ils passés de l'admiration à la fureur? La présence de Jésus au rassemblement du Sabbat donne le ton de ce qui va arriver entre lui et les lieux de culte fréquentés sur sa route vers Jérusalem. «Si on le laisse faire, prévient-t-on avant son procès, c'en est fini pour notre temple et notre religion!»
On lit, aux Actes des Apôtres, qu'après le long discours d'Étienne qui résume magnifiquement l'histoire d'Israël, les chefs «frémissaient de rage dans leurs cœurs, grinçaient des dents, se bouchèrent les oreilles et se précipitèrent sur lui..., le poussèrent hors de la ville et se mirent à le lapider». La fête de saint Étienne est célébrée le lendemain de Noël... Le disciple n'est vraiment pas plus grand que le maître!
Mais qu'est-ce qui se passe? Pourquoi des prophètes sont-ils exclus, jugés malades, sinon exécutés? Cette réalité n'est pas que d'hier! Une chose semble claire: quand des prophètes parlent, des gens se sentent piqués au vif dans leurs certitudes, celles qui touchent à leur image de Dieu, aux traditions séculaires, au pouvoir établi. Jésus, au milieu des siens, s'identifie à celui qu'annonçait Isaïe. Mais on le sait fils du charpentier Joseph, un gars du village à peine sorti de sa vie cachée! Pour qui se prend-il? Serait-il dérangé? Surtout qu'il renchérit en annonçant que des païens, un homme, une femme, ont cru et furent guéris. Furieux, les gens veulent le précipiter en bas de la colline.
Jésus, passant au milieu d'eux, va son chemin...Mais il n'est qu'en sursis! On l'élèvera sur la colline du Golgotha! Puis, après l'avoir transpercé, on le regardera! Pourtant le drame continue! Et Il arrive encore que des prophètes soient reconnus, glorifiés, après avoir été rejetés puis supprimés!
Près du lac, Jésus, entouré d'une foule, ne rate pas sa sortie comme lors du triste «aujourd'hui» de la synagogue de Nazareth. L'oreille des gens est grande ouverte. Il se passe quelque chose d'inattendu. Au lieu de vouloir exclure Jésus de leur compagnie, des pêcheurs se mettent à le suivre de près. Bel «aujourd'hui»!
Pierre, dont la belle-mère vient d'être guérie, connaît le domaine de la pêche! Il sait l'heure idéale, la capacité de sa barque, de ses filets. Ce matin-là, il revient bredouille. Sur la rive, on boit les paroles de Jésus. Soudain, Jésus monte dans la barque de Pierre pour s'éloigner du rivage. Ayant fini de parler, il lui commande d'avancer au large pour jeter les filets! Quel beau stage pratique! Pierre avoue avoir vainement pêché toute la nuit, mais consent, sur la parole de Jésus, à prendre le large. Surprise! Les mailles des filets lâchent. Pierre appelle ses compagnons. Deux barques trop pleines risquent d'enfoncer! Plutôt que de se juger mauvais pécheur, Pierre se reconnaît pécheur! Quel effroi le saisit donc? Pierre expérimente la puissance de la Parole. Comme Marie, première disciple, il a répondu lui aussi : «Qu'il arrive selon ta parole!»
Devient disciple toute personne qui, après avoir expérimenté la limite des moyens humains, fait confiance à la Parole, accepte d'aller au large et puise en profondeur. Jésus lui confie la mission, comme à Pierre, de repêcher l'humain là où elle exerce les dons reçus! Elle peut réaliser, ébahie, que Dieu habite la profondeur, qu'on le repêche en déliant les humains de leurs filets. Comment délier tant d'humains sans faire appel à d'autres barques? Œcuménisme! Tant à délier dans une seule personne qu'il faut à tout prix conjuguer toutes les compétences! Partenariat! Comment? Sinon en épousant la passion de Dieu pour l'humanité!
Deux cortèges se croisent à la porte d'une ville. Un qui entre: celui de Jésus accompagné de ses disciples et d'une grande foule; l'autre qui sort, celui d'une veuve portant en terre son fils unique, elle aussi accompagnée d'une foule considérable. Que se passe-t-il pour que les deux cortèges en fassent un seul qui engage ses pas dans le courant de la vie?
Se passe la rencontre de Jésus: regard attentif, cœur compatissant, démarche de rapprochement, toucher efficace et paroles plus que vives. Oui, tout cela dans si peu de temps. Réflexe spontané de quelqu'un pressé par l'amour de Dieu pour les êtres humains!
Le chemin est libre entre les yeux de Jésus et son cœur. Affecté, il laisse monter en lui la parole juste qu'il convient de dire à la mère en pleurs: «Ne pleure pas!». Poussé intérieurement, il se rapproche du cercueil et le touche. Les porteurs arrêtent d'avancer vers un enterrement. Jésus s'adresse au fils unique déclaré mort : «Jeune homme, je te le dis, lève-toi!». Le mort se dresse et se met à parler, note l'évangéliste, et Jésus le remet tout bonnement à sa mère!
Que c'est bon de voir la veuve et son fils tous les deux rendus à la vie! La veuve tout d’abord, en arrêtant de pleurer. Puis le fils unique, en se relevant « jeune homme » pour retrouver une mère aux yeux clairs! Tous les deux peuvent maintenant choisir de vivre leur vie. Finie la situation de fils unique soutien d'une veuve éplorée. Renouvelée la relation fils/mère! Liberté de la juste relation. Milieu de vie devenu favorable à la croissance dans la différenciation des rôles. Voilà ce que fait la rencontre d'un cœur aimant: cortège mortuaire devient pèlerinage de vivants!
Le mot «évangile» signifie «bon» et «neuf»... Évangéliser, ce serait donc voir et favoriser ce que réalise de «neuf» le «bon» qui habite toute chose! Dieu a trouvé bon, même très bon le grain qu'à l'origine il a déposé en tout ce qui vit. Il sait son souffle capable de «renouveler sans cesse la face de la terre». Sous sa poussée tout demeure en vie et devient fruit rêvé...de son amour!
Évangéliser, n'est-ce pas ce qui habite le cœur de Jésus chez Simon le pharisien? Il lui demande de regarder ce que le «bon» qui vient de Dieu a produit de «neuf» dans la vie d'une femme désirant qu'il s'ouvre à ce que le «bon» pourrait aussi renouveler en lui s'il se laissait toucher au cœur.
Dans le cœur d'une femme qui était pécheresse en ville, le germe d'amour a éclaté de mille feux sous un regard aimant qui espère tout. Attirée par Jésus, l'invité de Simon, ses gestes sont démesurés; depuis si longtemps qu'ils étaient contenus! Quand l'amour explose en fruits, la raison tient difficilement la route, du moins pour quelques instants d'une fraîcheur bouleversante!
Ah! Si le pharisien se laissait toucher par ces gestes qu'invente l'amour! On ne sait jamais! Serait-ce parce que Jésus croit cela possible qu'il demande à Simon de se laisser atteindre par la conduite de la femme dont il a détourné le regard? Regarde, Simon, mon frère, imagine un déjeuner où s'éclaterait ainsi le meilleur de chaque convive!
Après leur dernier repas avec Jésus, les disciples demandaient lequel d'entre eux était le plus grand. Jésus répondit que le plus grand, d'une certaine façon, n'est ni celui qui sert, ni celui qui est à table, mais ce qui est servi. Au repas qu'il venait de partager avec les siens, en effet, Jésus s'est donné lui-même à manger, comme il l'a fait chaque jour de sa présence au milieu d'eux. Il a tout donné de lui, corps et sang...
Aujourd'hui, les disciples, inquiets, lui demandent de renvoyer la foule dans les village et fermes d'alentour pour qu'elle trouve nourriture et logement. Jésus leur dit : «Donnez-leur vous-mêmes à manger». Il leur commande donc de faire comme lui, de se donner en nourriture. Car des gens, affamés dans leur cœur, sont en train d'assouvir leur désir dans la communion à Jésus; leurs besoins primaires peuvent donc attendre.
Donner à manger et, en mémoire de Jésus, se donner soi-même à manger : quelle tâche toujours urgente! Des personnes viennent parfois mendier nourriture ou vêtement comme seul moyen de s'offrir une rencontre qui réchauffe le cœur. J'ai déjà vu l'accumulation de vêtements chez une personne qui en quêtait encore! Je me souviens d'un homme qui s'est levé en pleine assemblée de paroisse pour supplier que quelqu'un aille le visiter dans son petit «apart». Et d'une dame qui a demandé qu'on aille lui donner la communion à domicile alors qu'elle n'était ni malade ni catholique... et elle a avoué que c'était le moyen qu'elle avait trouvé pour voir quelqu'un...
Maurice Bellet, dans un livre récent, nomme quatre «P» ou formes contemporaines de la faim : Pain, Parole, Place, Parcours... Pour combler quelle faim je me donne moi-même à manger? Et à qui?
Dans saint Luc, Jésus, d'un même élan, est solidaire du Père et de tous les hommes et femmes dont il a revêtu l'humanité. Sa prière est passée de «mon» Père à «notre» Père! Aujourd'hui, après avoir prié, il interroge ses disciples. On le dirait à une croisée des chemins. Il vient de rencontrer Dieu et, pour éclairer son discernement, il prie les siens de l'informer de ce qu'on dit de lui.
Certains l'identifient à des personnages du passé. Mais que pensent ses disciples dont quelques-uns sont appelés apôtres? Compagnons de route au quotidien, témoins privilégiés d'une bonté qui touche les cœurs simples, soupçonnent-ils quelque chose d'autre de son identité? Pierre reconnaît en lui le Messie attendu. C'est déjà beau mais combien incomplet! C'est cependant le coup de pouce qui confirme Jésus. Le temps est venu pour lui de dévoiler plus clairement qui il est, d'où il vient. Il se doit d'aller plus loin avec ses disciples.
Jésus n'est pas simplement un Messie envoyé par Dieu pour faire des miracles. Il est fils de Dieu! Mais comment révéler cela sinon en montrant que le souffle qui est en lui, mais aussi en nous, est capable non seulement de guérir mais, et surtout, de traverser la souffrance et la mort, d'ouvrir les tombeaux. Jésus fera désormais moins de miracles et tentera d'éveiller les siens à une autre dimension. Par trois fois, sur la route qui le mène à Jérusalem, où un drame manifestera au centurion qui il est, il annonce les souffrances qui l'attendent et parle de résurrection. C'est quelque chose d'inimaginable!
Fille de Dieu, je suis donc habitée d'une force plus forte que la mort! C'est pour me révéler cela de moi que Jésus est venu! Tel il est, telle je suis!
Chaque année, le deuxième dimanche du Carême nous présente, en versions différentes, la manifestation lumineuse de Jésus à Pierre, Jacques et Jean. Trois évangélistes notent que Jésus s'entretient avec Moïse et Élie. Luc seul ajoute qu'il parle de son prochain départ qui se réalisera à Jérusalem. Lui seul écrit que Pierre et ses compagnons sont accablés de sommeil et, qu'à leur réveil, ils voient un Jésus lumineux et deux hommes à ses côtés. Il prend la peine d'ajouter que Pierre ne sait pas ce qu'il dit en s'affirmant heureux d'être là et qu'il offre à Jésus de dresser trois tentes.
Le moment où les disciples sont saisis de frayeur diffère d'un récit à l'autre. Matthieu dit que c'est après avoir entendu une voix déclarer : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé». Marc dit qu'ils ne savent pas quoi répondre parce qu'ils sont déjà saisis de frayeur. Et Luc note que c'est au moment où ils pénètrent sous la nuée. Luc ajoute aussi qu'après avoir entendu retentir, de la nuée, une voix qui disait: «Celui-ci est mon Fils», et alors qu'on ne voit plus que Jésus seul, les disciples gardent silence sur ce qu'ils ont vu et ne disent rien à personne à ce moment-là. Les trois évangélistes notent que la nuée les couvre tous de son ombre. Et nous avec eux!
L'ombre n'est-elle pas signe incontestable de l'existence d'une lumière? Ne dit-elle pas l'angle sous lequel brille le soleil et quelle est notre position par rapport à lui? Quand nous voyons de l'ombre c'est parce que quelque chose, quelqu'un fait obstacle à une source de lumière. Lorsque Jésus est lumineux, son corps est donc, à cet instant, pure transparence à la lumière! Ainsi serons-nous un jour, espérons-nous! En attendant, réjouissons-nous de voir notre ombre!
Suivre un leader nommé Jésus, c'est sans compromis! C'est prendre résolument avec lui le chemin qui engage tout, être et avoir, pour faire un monde juste et fraternel, plus humain quoi! Dans l'univers biblique, ce monde rêvé s'appelle Jérusalem, ville où les solidarités caractérisent le tissu social, les salutations manifestent la fraternité, les désirs s'actualisent en chemins de paix, selon les expressions d'un vieux psaume.
Quelle aventure que de garder le cap sur Jérusalem avec Jésus! Sans être sûrs d'y parvenir mais de faire des mains et des pieds pour y arriver ensemble! Les tentations sont grandes, aux jours de déception, de lenteur ou de fatigue, de s'arrêter ou de rebrousser chemin. Mille raisons tambourinent aux portes du cœur: faut quand même prendre le temps de se refaire les idées, d'aller enterrer les siens, de dire adieu aux gens qu'on aime! Avec le risque, très grand, d'être retenu par mille bonnes raisons auprès de ceux et de celles qui ont été jusqu'à présent sa sécurité, sa famille et peut-être même sa raison d'être.
Je me souviens des jours où je tenais les rênes du cheval attelé à la charrue des labours . C'est évident qu'il ne fallait pas regarder en arrière ni stationner sur un sillon! On ne conduit pas sa voiture les yeux rivés sur le rétroviseur; on ne peut même pas s'arrêter sur la chaussée à moins d'urgence! Surtout pas pour un somme!
J'avoue que marcher avec Jésus les yeux tournés vers Jérusalem n'est pas une sinécure pour moi! Comment ne pas céder aux belles vitrines, aux attraits du podium, aux sécurités tranquilles du légalisme, à quoi encore, même à petite échelle! Toute personne engagée de façon résolue est loin d'être immunisée! Peut-être lui arrivera-t-il, un jour, de pleurer avec Jésus sur Jérusalem!
Jésus envoie les siens en avant de lui, deux par deux, en réseau. Peut-être deux sont-ils allés chez Marthe et Marie annoncer sa venue. Nous en retrouvons deux sur le chemin d'Emmaüs, tellement désespérés après la mort de Jésus qu'ils ont rebroussé chemin. S'ils avaient pu aller en avant, au-delà de la mort, annoncer sa venue! Pour aller en avant de lui, il faut peut-être apprendre d'abord à le suivre!
Oui, suivre Jésus, c’est adopter sa manière d'être «bonne nouvelle», de reconnaître partout la présence du «bon» grain généreusement semé et toujours en train de commencer du «neuf». Évangélisateur no 1,il est ce qu'il demande aux disciples d'être. Il vient, non pour lever son chapeau et passer, mais pour habiter chez-nous, s'asseoir à notre table, se donner à manger, communier à ce que nous lui offrons de nous-mêmes. Ni colporteur, ni vendeur, ni ambitieux d'un palmarès de conquêtes, sa méthode est dépouillée de moyens. Elle est d'abord souhait de paix, paix qui n'est pas détruite même quand elle n'est pas reçue. Elle est présence le temps qu’il faut pour nourrir et guérir.
Jésus, le cœur libre de tout préjugé, de toute loi gênante, révèle ce qu'il voit de bon chez les gens qu'il visite. Même si on refuse de l'accueillir, Jésus ne manque pas de nommer, en partant, qu'il a flairé quelque chose qui sent le bon Dieu dans leurs mœurs, leurs chants! Parce que son cœur espère tout, il secoue de sa chaussure la poussière du refus; il n'en contaminera sûrement pas le village voisin. Écoutons Jésus et réjouissons-nous non de voir Satan tomber d'un piédestal à notre passage, mais d'avoir le même nom, la même présence humaine que lui!
Une amie a trouvé réponse à la question éprouvante souvent posée : «Que fais-tu?». La réponse est venue, simple : «Je fais du bien»... Aurions-nous quelque chose dans le cœur, comme une loi intérieure, qui nous pousse naturellement à «faire» du bien? Mais, pressé-e-s de faire des choses et le cœur embourbé, ça prend du temps avant de nous en rendre compte et de l'écouter. Faire du bien : est-il plus belle définition du verbe «aimer»? Et plus concrète? Ne dit-on pas, pour résumer la vie de Jésus, qu'il passait tout simplement en faisant le bien... Et si c'était cela l'évangélisation!
Jésus était libre comme un samaritain face aux lois religieuses. Un prêtre et un lévite ne l'étaient pas. Ils n'ont fait aucun bien en passant près d'un homme laissé à moitié mort. Toucher un mourant les rendait impurs alors qu'il fallait être pur pour officier au temple. Ils ont vu mais sont passés tout droit. Un samaritain a vu. Touché de compassion, il a investi temps et argent pour assister un inconnu en danger. Il a reconnu en lui sa propre image!
Aimer Dieu de tout son être de chair, ce serait donc réaliser qu'il compte sur nous pour faire du bien à ses enfants. Samaritaines, samaritains capables de compassion sur les routes humaines! Toujours ajustés à l'heure d'aimer! Sachant que «la compassion se transforme en un pont qui rapproche et tisse des liens» (Pape François) et qu'en soignant les blessures de son frère, de sa sœur, on soigne les siennes!
Que d'occasions pour des personnes au cœur libre d'être touchées aux entrailles, de s'approcher, de prendre soin avec amour. Elles se font tellement de bien quand elles en font à quelque personne rencontrée sur leur route quotidienne!
Jésus, en route vers Jérusalem, agit comme il demande à ses disciples de se comporter. Annoncé peut-être par deux disciples envoyés en avant, il entre dans la maison de Marthe dont la sœur se nomme Marie. Sans bourse ni besace, il n'a rien à offrir que sa présence. Comment Jésus est-il, dans cette maison de village, l'évangélisateur qu'il demande aux disciples d'être avec lui? Car ce jour-là, par sa simple présence, il se passe quelque chose de bon et de neuf.
Jésus ne vient pas chez Marthe et Marie faire quelque chose ni pour leur donner quelque chose, il vient pour être-avec elles le temps de nourrir et de guérir. À trop vouloir, comme Marthe, faire quelque chose pour les autres, c'est dangereux qu'on se laisse accaparer par tout ce qu'il faut prévoir et faire, tellement les besoins sont nombreux. C'est risquer de devenir aigris quand d'autres, bénévoles ou non, en font moins ou prennent leur temps. C'est parfois s'inquiéter et s'agiter pour rester à la hauteur.
Jésus prend le temps d'être-avec¸ de s'asseoir, de partager la rencontre qui nourrit le cœur et rend meilleurs le café, la brioche que l'on sert. Jésus dira plus tard que sa présence elle-même est le repas servi... Il demande aux disciples de prendre soin des rencontres qu'ils feront en route et, sans bouse ni besace mais riches dans leur cœur, de se donner eux-mêmes à manger puis d'accepter d'être nourris à même la richesse de leurs hôtes et hôtesses.
Avec quelle tendresse dans le ton de sa voix Jésus demande à Marthe de décompresser, de venir s'asseoir avec lui et sa sœur, de passer d'une multitude de services à l'inoubliable apéro qu'est le service de la présence partagée. Le lunch, même frugal, goûtera le «revenez-y»!
Jésus a vécu plusieurs années dans la maison de Nazareth après avoir dit à son père et à sa mère, à l'âge de 12 ans: «Je dois être dans la maison de mon Père!» Ses parents n'ont pas compris ce qu'il voulait dire à ce moment-là. Marie gardait ces paroles dans son cœur...
Depuis ce moment, Jésus s'est ajusté au vêtement de chair de l'humanité avec tous ses plis, déchirures, couleurs sombres ou joyeuses. Le temps de réaliser au quotidien qu'il ne pouvait être fils de Dieu sans être frère des hommes, des femmes de tous les temps, de toutes situations, de toutes souffrances, de toutes joies. Pape François a rappelé aux prêtres que leurs vêtements liturgiques n'étaient pas de «beaux habits» mais l'humanité qu'ils consentent à revêtir! Vers l'âge de 30 ans, baptisé comme tout le peuple, Jésus est en prière lorsque le Souffle de Dieu l'enveloppe. Une voix venue du ciel confirme qu'il est né de Dieu. C'est sa Pentecôte! Le voilà fort d'une onction pour sa mission de libérateur!
Dans la prière qu'il enseigne aux disciples, Jésus est un «nous». Il s'adresse à «Notre Père». Souvent il retourne sur la montagne pour communier au Dieu qui est «Père de tous, qui agit par tous et qui est en tous». Avec Jésus, en lui et par lui nous prions «Notre Père». Peu à peu nous passons avec Lui de mon Père à notre Père! Passage de toute une vie... tellement c'est difficile de voir en tout être humain, de tous lieux, temps ou religions, un frère ou une sueur à aimer...Nous sommes pourtant tous, toutes «enfants du Bon Dieu», chante David Jalbert! Parfois on dirait, en les écoutant, que les enfants n'ont pas tous connu le même Père!
J'ai reçu une photo où le pape François affiche le sourire malicieux de quelqu'un qui est fier de sa «joke»... Il vient de dire, en effet, qu'il n'a jamais vu un camion de déménagement suivre un cortège funèbre, jamais! Je pense bien que personne d'entre nous n'a vu cela non plus! Mais de se l'imaginer fait penser sérieux!
Il semble, malgré tout, qu'il faut rappeler cette évidence. Jésus le fait. Nous sommes un peu comme des écureuils qui se remplissent les joues et vont cacher leurs provisions pour la saison à venir... Qui n'a pas le réflexe de remplir ses greniers, de prévoir pour ses vieux jours dans le désir de profiter de quelques bonnes années pour jouir de la vie?
Est-ce dire qu'il ne faut pas le faire? Ce que Jésus semble dire, c'est de ne pas ramasser pour soi-même sans se soucier d'être riche en vue de Dieu! Qu'est- ce que ça veut dire «être riche en vue de Dieu»? Peut-être y a-t-il une réponse à cette question dans ce que Jésus vient d'affirmer: «la vie d'un homme ne dépend pas de ses richesses»...
La vraie richesse, celle qui est notre assurance-vie, ne serait-elle pas faite des relations que nous tissons et que nous nourrissons? Ne serait-elle pas le lien indéfectible avec la Source de notre Être... dont l'eau vive ne se vend ni ne s'achète? Ne sommes-nous pas, sur terre, des citoyens d'un ailleurs? C'est d'oublier cela qui fait que nous sommes déboussolés quand il nous arrive de tout perdre des biens acquis sans avoir eu le temps d'en profiter! Quelle émouvante solidarité se réveille et se déploie quand arrive une catastrophe! Un lien invisible nous unirait-il si fortement les uns aux autres? Serait-ce cela l'amour?
Quelle heure est-il? Il semble que, pour Jésus, c'est toujours l'heure d'aimer! Gilles Vigneault chante avec justesse : «Je demeure où l'amour loge, j'y retourne à chaque pas; le temps n'est pas dans l'horloge mais dans votre cœur qui bat». Et aussi : «La nuit le jour, l'été l'hiver, il faut dormir le cœur ouvert»! Comme ces chalets qu'on laisse ouverts et qui ne sont pas défoncés! Avec un petit cahier pour qu'on griffonne un mot!
Qui donc peut offrir un cœur en état de veille? Un cœur «chalet ouvert»? Pour une personne qui a un tel cœur il n'y aurait pas d'heure où elle oublie que quelqu'un peut se présenter sans avoir annoncé sa visite! Ses biens, agenda compris, sont gérés par le cœur! Si jamais il lui arrive de barrer sa maison pour une absence prolongée, elle laisse une note, une adresse. D'ailleurs des ami-e-s ont la clé de sa maison et peuvent entrer en pleine nuit prendre un somme sur le divan du bord!
Un gros risque à prendre, dites-vous? Bien sûr! Mais un risque plus rassurant que celui d'un échange de coups, d'une escalade de violence! Les biens que nous recevons, ils ne nous appartiennent qu'un peu puisqu'à chaque «NOTRE Père» nous demandons à Dieu de NOUS donner chaque jour le pain qu'il nous faut, et le gîte et le couvert... Cette prière, il nous appartient de l'exaucer avec Jésus, en lui et par lui.
Jésus nous dit aujourd'hui qu'il nous confie les uns, les unes aux autres. Il nous demande de prendre soin, de donner, au temps voulu, notre part d'humanité... comme il s'est donné lui-même tout entier! Jésus est avec nous, «cœur ouvert» à tout jamais... Et tout l'Amour que Dieu donne généreusement transite par nos pauvres cœurs!
Jésus est un feu nouveau donné à la terre. Il est «tout feu, tout flamme» dans tout ce qu'il est! Foyer d'amour, il réchauffe les cours qui grelottent, ravive les tisons enfouis sous des cendres, cautérise les blessures mal soignées. Il fait feu de tout bois! Une étincelle de lui et la foule s'embrase prête à le suivre. Feu de signalisation ou de direction, il clignote pour indiquer aux voyageurs la voie étroite qui mène à la vie. Feu de phare dans la nuit pour la barque en danger de sombrer. Feu de grève pour la danse des retrouvailles et la chanson des souvenirs.
Toujours entre deux feux, il n'accepte guère d'être sous les feux de la rampe. Il se voit simple lampe pour éclairer la maison. Mais, pour certaines gens, sa présence est dangereuse comme feu de rasoir ou feu de cheminée. Sa lumière trouve le bobo qu'on veut dissimuler ou révèle la suie accumulée dans les circuits du cœur. Des gens se chargent de faire feu sur lui par crainte d'un incendie qui pourrait détruire leurs hautes murailles de protection. S'ils pensent qu'il ne fera pas long feu, ils se trompent. Sa flamme brûle encore! Phénix longtemps attendu...son feu est allumé en chacun des êtres humains et au cœur de la terre. Nous sommes une «route des phares»!
Quelle merveille! Un enfant, et voilà un feu allumé dans le monde. Feu-pilote qui jamais ne mourra! Feu comme veilleuse au sanctuaire. Feu qui éloigne la mortelle froidure. Buisson ardent à faire frissonner les frileux alors qu'il pourrait les réchauffer! Feu contre lequel on lutte avec des milliers d'extincteurs mais que personne ne réussira à éteindre, foi de Jésus! Attention aux broussailles! Car Dieu est Feu!
Violence, tour qui tombe et victimes! On dirait la «une» de l'actualité! Jésus entend les reprteors et, au lieu de chercher des coupables, il avertit ses contemporains qu'à moins de se convertir, ils périront tous de la même manière! Cet appel à un changement de vie serait-il encore pertinent? Par qui nous arrive-t-il? Mais se convertir à quoi?Les médias rapportent tant de violence : physique, psychologique, sexuelle... Certaines de nos plus belles inventions, négligées ou attaquées, se transforment en armes de destructions, parfois massives! Et on multiplie les coûteuses commissions d'enquêtes pour découvrir et juger de potentiels coupables!
Pourtant, économistes, romanciers et romancières, chanteuses et chanteurs, écologistes, jeunes et moins jeunes, nombreuses sont les personnes qui, avec des moyens modestes, font régulièrement écho à la sérieuse interpellation de Jésus.
Christian Arnsperger, économiste, invite lecteurs et lectrices à se déconnecter des valeurs de pouvoir et de profit qui déshumanisent, mènent à la violence, font des victimes. Il invite quiconque désire un monde plus humain et plus convivial à devenir «entrepreneur relationnel». Conscient de la dimension spirituelle et non optionnelle de tout être humain, il propose de former des petits groupes de personnes pour conscientiser et nommer leurs connivences avec l'appât du gain et les jeux du pouvoir. Il invite à transformer les différents milieux de vie en petites communautés de guérison mutuelle...
J'entends Patrice, un policier à la «foi d'acier», dévoué auprès de jeunes délinquants, demander à qui écoute son témoignage de croire au «meilleur dans les humains»... J'écoute Louis-Jean Cormier. Il chante: «Crois-tu qu'on s'aime encore?», «la seule question» qui survit à tous les «malgré». Aujourd'hui, ne fermons pas notre cœur»
Tant d'événements, tant de voix nous prient, en écho aux paroles de Jésus, de changer notre manière de vivre: appels à la simplicité volontaire, au marché équitable, au souci des petits et laissés-pour-compte, au soin de l'environnement. Il y va de notre avenir claironnent ces voix à temps, à contretemps. Voix de pauvres, de jeunes, de pape!
Fouiller passé et présent à la recherche de coupables pour conjurer les catastrophes qu'engendrent violence, collusions, négligence dans la course au progrès, cela ne suffit pas. Il est urgent de réaliser que si nous continuons à obéir aux dictats de l'argent et du pouvoir nous périrons tous de la même façon. Nous devons décider de nous «débrancher» de valeurs qui déshumanisent et mènent inexorablement, un jour ou l'autre, à un «Lac- Mégantic» ou à un «Détroit» déserté!
Jésus s'approche de Jérusalem, ses appels se font très incisifs pour sauver l'humain. Il nous rappelle l'étroit sentier qui mène à la vie ensemble, celui du prendre-soin, du partage, de la justice. Selon lui, il est vain de penser nous en sortir parce que nous avons prié en sa présence, entendu ses enseignements, chanté le cantique de Marie sans réaliser qu'il proposait quelque chose de subversif.
Un jour vient où les personnes qui osent aimer se reconnaissent entre elles! Elles viennent de partout pour le rendez-vous du nouveau festin, celui de la solidarité, de la convivialité. Les autres, formatées pour les larges entrées, ne peuvent pas avoir accès à ce lieu aux portes trop basses pour elles; impuissantes, elles se sentent peut-être exclues à leur tour. N'est-il pas urgent que chaque personne discerne à quel impératif elle obéit dans ses choix au quotidien! À celui du chacun-e pour soi ou à celui de la compassion, de la solidarité?
Imaginons une personne invitée au repas, même liturgique, chez des gens qui détiennent ou croient détenir les clés du pouvoir, de la richesse. Et qu'elle profiterait de l'occasion pour exposer sa vision utopiste d'un monde remis à l'endroit, un monde qui commence par en bas, fait de ceux, de celles qui n'ont ni le crédit ni la prestance pour le festin qu'on offre. Imaginons ce qui peut arriver à cette intruse!
À moins que cette personne, quelque peu naïve, n'éveille le désir de «détourner» les bénéfices du repas des bien nantis au profit d'un festin où les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles, les mal famés, ceux et celles qui n'ont rien pour rendre, seraient les invités du jour! «Rien n'est impossible à l'Amour!»
Jésus que nous rencontrons aujourd'hui ne démord pas de son message! En fait, il est lui-même le message! Quand il se présente comme invité chez un chef de Pharisiens et qu'il observe les convives choisir leur place, c'est un «dé-tournement» des coeurs qu'il ose proposer. Il désire ardemment un festin différent et, pendant le repas, il exprime tout haut le rêve qui motive sa présence. On ne sait jamais! Tout cœur humain est allumé au feu de l'Amour et donc bellement capable de justice, de gratuité!
Au repas que Jésus souhaite ardemment vivre avec tous les humains, on arrive en pauvres, en estropiés de toutes sortes, on repart riches en frères, en sœurs, en amis, en gens heureux d'avoir découvert et partagé une autre richesse, celle que personne ne peut nous enlever: la présence. On y reçoit abondamment sans s'inquiéter de donner en retour. On est simplement invité à «donner au suivant». «Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement», qu'il ose encore dire!
«La vie est belle, mais difficile, vous savez!» me disent des personnes âgées. «Qu'il est difficile d'aimer», chante Vigneault!
Oui, il est difficile d'aimer! D'aimer jusqu'au bout son conjoint, sa conjointe, ses enfants, ses parents, ses voisins et voisines, ses compagnes et compagnons. Aimer jusqu'au bout quand vient la maladie qui défigure la beauté première. Quand vient le doute qui s'infiltre sournois dans la toute petite faille des alliances de confiance. Quand vient le temps des pertes imparables ou des surprenantes glorioles. Comment aimer vraiment si ce n'est jusqu'à la «déchirure» comme chante Brel?
Jésus est réaliste dans l'évangile du jour. Il nous avertit, en quelques mots, qu'il sera difficile de tenir bon dans nos relations sans trouver une source commune où puiser l'amour qu'il faut pour aimer jusqu'au bout. Aucune personne, si aimante, si fidèle soit-elle, n'est source inépuisable de vie pour une autre. Elle arriverait vite au bout de ses biens, au bout de ses mots d'amour, au bout de son corps... épuisée et vidée.
C'est pourquoi, il nous faut vraiment, dans nos relations les plus bellement commencées, nous assurer de pouvoir toujours joindre nos mains en Présence d'une «Source sans fond de la douceur humaine» et, les yeux clos peut-être, demander ensemble «l'amour qu'il faut pour la journée», comme l'écrit si doux Marie Noël, poétesse française.
Il n'est guère facile de renoncer à compter sur ses propres forces pour garder vivantes ses relations. Jésus s'y connaît dans la voie étroite de l'amour, il sait de quoi il parle, car «ayant aimé les siens, il les aima jusqu'au bout.» Porter ma croix, c'est peut-être prendre tout de moi, de la tête aux pieds, et, sachant où puiser l'amour, marcher chaque jour les yeux fidèlement fixés sur Jésus. Jusqu'au bout du bout!
Jésus tente de toucher le cœur des pharisiens qui maugréent parce qu'ils le voient attablé avec des pécheurs. On dirait qu'il désire les faire «craquer» en leur décrivant la joie de personnes qui retrouvent ce qu'elles ont perdu de très précieux...
Joie d'un berger, ayant laissé 99 brebis, quand il retrouve celle qu'il avait perdue; joie d'une femme qui rassemble amies et voisines après voir tourné sa maison à l'envers pour retrouver quelques pièces d'argent! Enfin, la joie d'un homme qui, broyé par la douleur, s'est découvert des entrailles et qui entend célébrer sa jubilation, car il a retrouvé son fils cadet parti à l'aventure après avoir demandé sa part d'héritage... Mais... son cœur de père est insatisfait, car son fils aîné refuse de partager le festin du retour!
Pour les pharisiens, Jésus n'est-il pas le fils qui gaspille sa vie avec les pécheurs? Jésus est pourtant celui qui goûte la joie d'être fils chéri, dans la pure gratuité, de l'amour indéfectible de son Dieu! Comment la joie d'un père peut-elle être complète tant que le fils aîné, (comme les pharisiens), ne découvrira pas la grâce inouïe d'être fils lui aussi... Au cadet, est arrivée la famine; qu'arrivera-t-il donc au fils aîné pour qu'il décroche de sa relation à un homme, (à un Dieu), perçu comme pourvoyeur ou employeur et découvre un père aux étreintes bouleversantes?
Les commentaires insistent bien souvent sur la bêtise du fils prodigue, oubliant à qui Jésus adresse les paraboles illustrant la joie d'un Père en attente d'être comblée par la présence du fils aîné au banquet des retrouvailles. Quand le fils aîné goûtera-t-il la grâce d'être fils, donc frère? Que le «frère aîné», en chaque personne, complète enfin la joie de Dieu, père aux entrailles frémissantes?
Paul écrit aux Romains que l'Esprit reçu atteste à notre coeur que nous sommes enfants de Dieu et que cet Esprit prie en nous avec des gémissements difficiles à mettre en mots. Dans la peau du fils cadet de l'homme que nous présente l'Évangile d'aujourd'hui, je désire communier à l'Esprit qui, par des chemins imprévus, l'amène à goûter la joie d'être fils pour toujours.
L'Esprit le pousse au désert de sa vie où il éprouve sa véritable faim, cri profond encore innommé parce «qu'inécouté». Ayant épuisé ce qu'il croyait être toute sa part d'héritage, il se tord de faim devant une nourriture concoctée pour des porcs. L'Esprit ne le fait-il pas consentir à écouter le regret de la maison paternelle de même que son indignité d'être appelé fils? Ne lui indique-t-il pas, quand il est gavé ou vidé d'illusions, le chemin du retour?
Quel itinéraire pour entendre, dans les mots muets d'une étreinte incomparable: «Mon fils»! Et pour vibrer de tout son être en touchant à la part d'héritage reçue au moment de sa conception, demeurée intacte, et que personne ne peut lui enlever: Il est toujours fils, il l'est pour toujours! Quel beau passage d'une relation à un homme, perçu comme pourvoyeur ou employeur, à un homme qui, par la déchirure du cœur, s'est découvert père aux entrailles de mère!
Maintenant que son cœur de fils a dit en toute vérité : «Mon Père», il lui reste à fréquenter le Père de très près jusqu'à partager avec lui la passion d'un amour inconditionnel mais blessé par le refus et la frustration du frère aîné... L'Esprit fera sûrement cela en lui. Il le fera passer, avec Jésus, de «MON Père» à «NOTRE Père!» Mais par quelles nouvelles soifs? Par quels imprévisibles chemins?
Un missionnaire partageait son observation sur la pauvreté. Ici, disait-il, les gens jugent qu'être pauvre c'est n'avoir rien; en Afrique, c'est n'avoir personne. Bernard Émond, lors d'un séminaire, affirmait accrocher son espérance sur les «petites bontés» des humains.
C'est peut-être ce que Jésus veut dire en trouvant sage l'homme qui a programmé ses investissements pour ne pas être seul au bout de ses jours. La «une» de l'actualité ne manque pas d'étaler les astuces de gens habiles à s'assurer de «bons contacts» en donnant des pots-de-vin, quitte à tromper pour y arriver! Malhonnêtes peut-être, mais plus habiles, dit Jésus, que des gens pourtant mieux éclairés, car ils savent l'importance de se faire des amis qui, un soir de fin de règne, pourront les accueillir chez eux.
Se faire des amis avec l'argent, c'est pressentir au fin fond de soi que l'argent ne peut rien garantir, qu'il est vain de lui asservir sa vie, encore moins ses amours. Un jour vient où l'on ne peut compter que sur la relation avec les autres et, en fin des fins, avec Celui qui est source intarissable de tout ce qui est gratuitement donné, placé à fonds perdus. Au secret de son cœur, le gérant dont Jésus parle entretenait un autre coffre-fort. Il misait davantage sur le fond permanent que sur l'intérêt même composé.
Jésus invite chaque personne à écouter son désir, à investir quotidiennement dans la relation, cette assurance-vie contre l'isolement des fins de parcours. Heureuse la personne pour qui «le temps c'est de l'argent», elle bloque quelques minutes à son agenda pour nourrir sa banque de relations; ainsi elle ne fera jamais banqueroute. Les moments consacrés aux timides 'je t'aime' ne sont-ils pas ceux qui nous garantissent une bonne ristourne au bout de nos jours?
Ses biens lui appartiennent, pensons-nous, il peut donc les donner à qui il veut. Lazare n'était certes pas le seul à le solliciter!
Ce qu'on peut lui reprocher? De n'avoir pas écouté son cœur mais ses sagesses à lui, ces mille raisons qui obstruaient la route entre son cœur et ses yeux l'empêchant ainsi de se laisser affecter par Lazare et de consentir à le regarder. Accueilli dans l'autre monde, le riche devient mendiant. Il supplie d'envoyer quelqu'un vers les siens espérant que la vue d'un «revenant» les ferait changer de conduite. Mais on lui répond qu'ils ont les prophètes et la Loi. Qu'ils les écoutent donc! Car quand bien même ils verraient un ressuscité, ils ne croiraient pas davantage, lui dit-on.
En fait, à la suite des premiers chrétiens, nombreux, hommes et femmes de partout, nous chantons Jésus ressuscité d'entre les morts. Et puis? Dans saint Luc, Jésus ne cesse de nous inviter à écouter la Parole gravée en notre être profond afin que notre cœur, libre, se laisse toucher de compassion à la vue d'un frère ou d'une sœur pauvre et accepte de partager les biens reçus. «Écouter pour voir» et pour comprendre, par le fait même, que nos biens ne nous appartiennent pas tant que ça!
Heureuses les personnes attentives à écouter la Parole qui fredonne sa mélodie au fond de leur cœur bien avant qu'elles voient écrits les mots de sa chanson. Heureux qui écoute la Parole pour reconnaître ses accents dans ce que voient ses yeux ou touchent ses mains. «Maintenant, je vois la vie avec les yeux du cœur, je suis plus sensible à l'invisible», chante Jerry Boulet! Le rocker aurait-il, à ce point, écouté son cœur?
Que reprocher à l'homme, riche mais sans nom, dont parle l'évangile? Ses biens lui appartiennent, il peut donc les donner à qui il veut. Le mendiant, nommé Lazare, n'était certes pas le solliciteur!
Lui reprocher quoi? Peut-être de n'avoir pas écouté son cœur ou sa conscience, mais ces mille justifications qui empêchent de regarder le mendiant et de se laisser toucher par la présence d'un semblable. Accueilli dans l'autre monde, le riche devient mendiant. Il supplie Abraham, père de la foi, d'envoyer quelqu'un vers les siens espérant que la vision d'un «revenant» les rendra plus attentifs. Mais on lui répond qu'ils ont les prophètes et la Loi. Qu'ils les écoutent donc! Même s'ils voient un ressuscité, ils ne croiront pas davantage.
À la suite des premiers chrétiens, nombreux et de partout, nous chantons Jésus toujours vivant au milieu de nous. Et puis? Le fait est que Jésus ressuscité n'est pas un fantôme! Il est toujours présent dans un corps. Un corps blessé. Un corps en agonie jusqu'à la fin des temps, comme dit Pascal.
Tant de voix crient en faveur des affamés du monde... Jésus lui-même nous redit que ce que nous faisons pour l'un de ses «petits», c'est à lui que nous le faisons. La Loi de l'amour est gravée pour jouer sa mélodie au cœur de chaque personne. Nous avons donc les prophètes, la Loi... et toujours des pauvres devant nos portes. Pauvres de pain, de présence, de regard...
Paul, ardent pharisien, supprime les disciples de Jésus au nom de son Dieu! Renversé, il expérimente que le crucifié qu'on dit vivant n'est pas un fantôme, qu'il a un corps qu'on crucifie encore! Son cœur est touché! Des écailles tombent de ses yeux! Il épouse, comme Jésus, la passion de Dieu pour l'humanité!
J'allais parler de foi à des personnes dont plusieurs étaient handicapées intellectuellement. Je me demandais comment le faire pour que ce soit simple. Et je ruminais dans mon cœur cette parole: «si vous aviez de la foi gros comme un grain de moutarde.»
Arrivée dans le groupe, j'ai demandé «Est-ce que ça aurait fait pareil si Jésus avait parlé de la foi gros comme un grain de sable?» Une jeune femme m'avait spontanément répondu:« Ben non!» - Mais «pourquoi?» -«Parce que du sable, ça pousse pas!» Je n'ai jamais oublié cette réponse pleine d'une vérité toute simple.
J'ai compris que si j'avais la foi en la force invisible qui m'habite et qui habite le monde gros comme une petite semence en a en celle qui l'habite, je serais témoin de montagnes déplacées ou d'arbres déracinés. Car quelques centimètres de terre sur un tout petit grain de moutarde, c'est, pour lui, une grosse montagne à déplacer! Non pas au bout de ses propres efforts bien sûr. Mais grâce 'la poussée de la puissance cachée en lui. Pensons au pissenlit qui fait craquer l'asphalte!
L'apôtre Paul dit qu'il ne sert à rien d'avoir une foi à déplacer des montagnes, ça peut même, être dangereux, si ce n'est par la foi en l'amour, germe divin enfoui dans les cœurs et qui, en levant, peut déplacer ou mieux déraciner nos empêchements d'aimer, même durcis comme le roc. Avoir la foi dans les sports, dans un compte en banque ou dans un dieu quelconque, ça fait déplacer des montagnes, on le voit! Et la foi en l'amour donc! Heureux qui sent ou voit, malgré le flot des mauvaises nouvelles, la vague de fond de l'amour et ses miracles quotidiens.
Des dix hommes guéris, un seul revient vers Jésus et c'est un Samaritain, donc un «hors-la-loi» pour les Juifs. Rien ne dit que les autres ne sont pas allés au Temple remercier Dieu pour leur guérison! Ce qui est bon à entendre c'est que le Samaritain, lui, est revenu sur ses pas dire merci à celui par qui la guérison est venue.
Chez-nous, nous avons, en octobre, jour d'action de grâces. Nous pouvons en profiter pour louer Dieu de ce que nous sommes et de tout ce que nous avons. Mais peut-être Dieu nous soufflera-t-il de retourner sur nos pas et d'aller remercier les personnes par qui Il est venu nous visiter, nous faire un clin d'œil, nous guérir peut-être.
Il m'est arrivé d'inviter des personnes âgées à remercier pour leurs orthèses et leurs prothèses! Et à penser à tous ces jeunes, hommes ou femmes, qui consacrent des années à étudier qui l'œil, qui le cœur, qui le psychisme, etc., désireux d'améliorer notre qualité de vie et le plus longtemps possible. Un jour, dit Jésus, Dieu lui-même les remerciera! Même s'ils ne savent pas que ce qu'ils font touche Dieu? Bien oui! Car, il nous l'a dit, ce que nous faisons au plus petit, Dieu le sent et le prend pour lui.
Dire que notre Dieu se lie à chacun, à chacune de nous pour continuer à créer, prendre soin de l'humanité intimement liée à l'univers! Il nous donne même, par son Souffle de vivant en nous, d'accomplir plus grand que ce que Jésus a fait, écrit saint Jean!
Retournons donc sur nos pas remercier une personne par qui nous est arrivé quelque chose de bon! Dieu va sûrement cueillir pour lui ce signe de notre reconnaissance et voir que nous avons reconnu sa Présence en l’un des siens, une ses siennes!
Tout nous est donné! «Le fond de l'être est générosité et du simple fait que le monde existe, il faut qu'il soit dans ce mouvement de générosité de la vie qui se donne» (Leloup). Tout nous est donné. Mais, sur nos routes humaines, tout nous arrive en passant par la nature: les arbres, les animaux, les astres, les êtres humains. Que de dons offerts en pure gratuité pour la beauté, la bonté!
Jésus est de Dieu, mais il nous fut donné par Marie fiancée à Joseph. Jésus vient de Dieu, mais il est passé par Nazareth. Le pain est don de Dieu, mais il est passé par Moîse au désert et il passe par la terre, l'air, par tant de mains avant d'arriver à table. «En plus de la communion avec Dieu et de la communion avec la Terre, y a-t-il communion avec Dieu par la terre -celle-ci devenant comme une grande hostie où Dieu se tiendrait pour nous?» (Teilhard de Chardin).
Le samaritain revenu dire merci à Jésus a peut-être simplement ce réflexe d'un homme libre, proche de son cœur. Par Jésus lui est venue la guérison, vers Jésus il tourne ses pas. Où vont les neuf autres? Peut-être au temple, croyant qu'il faut aller là pour rendre grâce au Dieu invisible!
C'est difficile de croire qu'en Jésus Dieu s'est lié à tout jamais à notre humanité! Comment aimer Dieu sans aimer la vie sous toutes ses manifestations? Comment croire en Dieu, sans croire dans les êtres humains? Quel merci dire aux personnes par qui Dieu nous rencontre, nous lave, nous donne à manger, se penche sur nous. Dieu lui-même nous dit merci de prendre soin des siens! Vers qui retourner pour un merci d'Action de grâces?
Au temps de Jésus, les veuves n'avaient aucun droit juridique. Mais les juges devaient, en toute justice, prendre leur défense. Ça faisait partie, pourrait-on dire, de leur code de déontologie, qu'ils respectent ou non Dieu et ses créatures.
Une veuve savait cela. Et elle a tenu tête puisque le juge était le seul habilité à la tirer d’embarras face à ses adversaires. Elle ne lui demandait pas ce que d'autres pouvaient lui donner par pitié ou compassion; elle lui demandait d'exercer ce pourquoi il était juge: rendre justice. Ennuyé par l'entêtement de la femme, le juge finit par céder, non de bon gré, mais pour avoir la «sainte paix»! Peu importe sa motivation, l'important c'est qu'il fasse ce qu'il est seul à pouvoir faire! Et que la femme soit sauvée!
Voilà la foi que Jésus espère trouver sur terre! Encore faut-il savoir et désirer ce que Dieu seul peut nous donner en toute justice. Dieu doit bien avoir son code de déontologie face aux humains que nous sommes! Surtout quand nous nous sentons comme «veuves» d'une part de nous-mêmes, d'un Dieu tellement discret, et seuls en face d'adversaires invisibles!
Quel recours nous reste-t-il donc? Rappeler à Dieu, à corps et à cri, qu'il doit nous faire justice. Qu'il le fasse pour se débarrasser de nous s'il le faut! Mais, quand notre cœur esseulé n'a plus son dû, qu'il nous donne ce que lui seul peut nous donner pour continuer la route et vaincre les adversités.
Mais avons-nous cette foi ? Sommes-nous prêts à tout pour vivre à notre meilleur? Dans l'évangile, souvent Jésus vante la foi des gens qui défoncent les toits et les lois pour obtenir ce que personne ne peut leur donner sinon Dieu! Leur foi têtue qui les sauve, dit Jésus.
Où trouver de la foi de la grosseur d’une toute petite semence? De quelle foi s'agit-il? Quiconque, croyant ou non, sème un grain espère sûrement cueillir des fruits. Je suis certaine qu'un grain semé par un incroyant donne d'aussi beaux fruits que celui semé par un croyant. Alors?
La foi dont il s'agit naît, semble-t-il, de la conscience d'une source cachée à l'origine de tout. Elle éveille, nourrit la confiance en cette source invisible. Source unique de fécondité à laquelle on peut demander, exiger presque, un certain «dû» pour vivre.
Quand Moïse, sur la montagne, prie pendant que les autres combattent dans la plaine, c'est qu'il croit avec d'autres que la force vient d'Ailleurs mais qu'elle agit dans et par les combattants. Ceux qui luttent viennent même lui soutenir les bras pour qu'il supplie encore et encore afin de demeurer confiants en cette force qui les dépasse...
La veuve de l'évangile est têtue car elle sait que le juge, et le juge seul a l'obligation légale de lui porter secours. Cette obligation est notée au code déontologique du juge. Ainsi en est-il de la source de tout ce qui vit et que nous appelons Dieu. C'est de lui seul qu'origine, vit et croît tout ce qui nous est gratuitement donné pour vivre.
Prier obstinément comme la veuve, comme Moïse, c'est compter sur une Source invisible. C'est demeurer attentifs, réceptives à ce qui est plus grand que nous. Le ruisseau naît sans cesse d'un puits originel qu'il n'aperçoit guère. Le ruisseau est beau de la beauté de sa source. Apparemment inconscient, il reçoit son «dû» existentiel d'une invisible source! Croire, serait-ce consentir et pouvoir espérer!
Jésus se demande s'il trouvera des gens conscients de la Source inépuisable de qui vient leur «dû» pour être et demeurer des vivants...
Deux hommes, un pharisien et un publicain, sont au Temple pour prier. C'est quand même bien! Comment se fait-il donc que l'un revient chez lui changé, ajusté au meilleur de lui-même, et l'autre pas? Les deux prient certes mais on dirait qu'ils ne s'adressent pas au même Dieu. En fait, les mots et les accents de leur prière dévoilent l'image du Dieu auquel ils pensent faire appel!
Le pharisien semble nourrir l'image d'un dieu gardien-des-lois qui demande qu'on lui en mette plein la vue de sa bonne conduite morale. Un dieu qui ne dédaigne pas la compétition et la comparaison entre les humains. Un dieu appelé, d'une certaine façon, à récompenser celui qui le prie, à lui donner une bonne note ou la haute marche du podium. À l'évidence, le pharisien ajuste sa prière à ce dieu-là. Mais il ne peut que rentrer chez lui conforté dans ce dont il est fier, stabilisé, confirmé par lui-même, mais nullement changé!
Se jugeant en deçà du désir de son coeur, qui est le meilleur de lui-même, s'estimant à bonne distance de la profondeur divine qui l'habite, le publicain s'adresse plutôt à un Dieu de qui seul il peut attendre ce qui donne de continuer à vivre debout, à avancer encore. Son Dieu est pressenti comme Présence vivante et il ajuste sa prière à ce Dieu-là! Confiant, il étale la béance de sa soif et aspire à rencontrer Celui qui est aussi soif folle de réciprocité filiale et amoureuse. Il revient chez lui encore mieux ajusté au désir qui brûle son cœur, exaucé quoi!
La prière n'est-elle pas la rencontre de deux soifs? Elle est essentiellement un échange entre deux personnes présentes l'une à l'autre pour se mieux connaître. Une telle rencontre peut changer les cœurs!
Pauvre petit Zachée! Quand je pense qu'on le présente encore, dans certaines célébrations, comme un pécheur! Ferait-on partie du groupe de ceux qui le jugent et récriminent en reprochant à Jésus de loger chez lui! Zachée ne dit-il pas lui-même : «Si j'ai fait du tort à quelqu'un...»?
Difficile pour un riche d'entrer dans le Royaume des cieux, avait dit Jésus. Mais il avait ajouté que rien n'est impossible à Dieu. Et voilà qu'aujourd'hui, Jésus lui-même s'invite chez un riche afin de sauver ce qui est perdu chez lui. Zachée cherche à voir qui est Jésus et il trouve qui il est lui-même. Peut-être était-ce son identité qui était perdue sous les étiquettes dont tous l'affublaient!
Que s'est-il donc passé dans le regard partagé entre Jésus et Zachée pour que la vieille cassette serinant ses notes accusatrices dans les coulisses ne soit plus entendue par le petit homme qui, pour voir Jésus, avait dû prendre de l'altitude et qui, en ce jour, le reçoit à sa table basse?
Un regard partagé semble avoir suffi pour que Zachée découvre le meilleur de lui-même, son identité de fils «né pour aimer». Et après avoir retrouvé en lui ce qui était perdu, il réalise que ses biens aussi sont perdus s'ils ne sont pas partagés. La libre circulation de l'amour déclenche chez lui la libre circulation des biens. Et des pauvres qui n'ont probablement pas vu Jésus reçoivent, ce jour -là, quelque chose de bon pour eux: pain, vêtements, etc... Les mains s'ouvrent quand le cœur est touché!
Comment croire que nous pouvons donner ce que nous sommes et ce que nous avons quand des étiquettes étouffent le meilleur de nous-mêmes? Que de Zachée perdus faute de regard qui les sauve!
Loin de moi de vouloir comparer Pape François à un petit âne! Mais il est quand même la monture nouvellement choisie par Jésus pour entrer à Jérusalem d'où il passera de la mort à la vie. Quand on sait qu'un âne n'accepte d'être monté que par son maître ou celui qui le devient! Que pouvons-nous faire sinon offrir nos vêtements, ceux du quotidien ou des jours de fête...pour paver sa route!
«Le Seigneur en a besoin!» Seul argument pour justifier le choix de Jésus! Cette monture, humblement humble, désarme mes peurs et mes appréhensions. Il y aura possiblement, dans la foule, quelques personnes à lui demander de faire taire les simples disciples... Et si des disciples se taisent, les «pierres vivantes» qu'ils sont par vocation se mettront peut-être à crier sans peur...devant «bonté et de tendresse»!
Je n'oublie pas cependant le prix à payer pour communier à la passion de Dieu pour l'humanité! Un corps à donner, un sang à verser! Des choses meurent pour qu'il y ait résurrection! Les yeux fixés sur le Corps du Christ monté sur un pauvre ânon, prenons pauvrement par lui et avec lui, là où nous sommes, le chemin de Dieu dans la bonté, la paix... Participons au renouveau d'une Église qui demande à naître! Jésus, le Vivant, doit bien mesurer le poids de son Corps pour qu'il n'écrase pas le petit âne!
J'ai tant aimé la bénédiction que François a demandée au peuple! Et la bénédiction qu'il a donnée à tous les journalistes, sans discrimination, parce qu'il voit en chacun, chacune en enfant de Dieu! Si c'est là sa foi, j'espère contre toute espérance et je désire prendre la route avec lui!
Résurrection : pur ou contre? Que penser de la réponse de Jésus aux Sadducéens qui le piègent avec l'histoire de sept frères ayant eu, l'un après l'autre, la même épouse? «Qui sera l'époux de cette femme dans le Royaume de Dieu», narguent-ils.
Jésus s'adresse à notre coeur bien sûr! Croire avec lui en la résurrection, c'est lire l'histoire des générations à la lumière du souffle créateur qui engendre et agit dans et par elles. C'est affirmer puiser notre origine en Dieu, recevoir de lui notre identité de fils, de filles tout en étant enfants de ce monde. Le Dieu de Jésus est le Dieu des vivants car si nous recevons de lui le souffle en héritage, comment ne pas vivre à jamais de ce souffle?
Si par grâce nous adhérons à cela, nous savons que certaines relations sont propres à ce monde, comme le sont ces touchantes relations qui passent le souffle d'une génération à l'autre. Mais, dans notre espérance, la relation de toutes les relations est celle de la filiation divine qui demeure à jamais. Le même souffle créateur qui nous unit mystérieusement sur la terre nous fait désirer ardemment, au quotidien, l'avènement d'une civilisation ouverte sur l'impérissable.
Jésus a promis sa présence jusqu'à l'accomplissement de l'histoire. Il demeure pourtant témoin impuissant au milieu de nous. Car la résurrection, comme la vie, n'est pas objet de démonstration mais d'espérance puis d'expérience! «Aime et tu vivras» chante, en nos cœurs, la Loi des lois! Qui pourrait séparer de l'Amour quiconque aime même sans croire qu'il ressuscitera? Aimons donc simplement jusqu'au bout comme Jésus a aimé et «qui vivra verra bien»! Dire à quelqu'un «Je t'aime», c'est lui dire «tu ne mourras pas!». Écoutons Dieu nous murmurer ses «je t'aime»!
Comment Jésus peut-il parler de terreurs et nous dire en même temps de ne pas nous effrayer? On dirait que des gens d'Haïti, ou certaines personnes qui ont survécu à une expérience de catastrophe, parfois terrorisante, ont compris quelque chose à ce discours pour «adultes avertis». On en voit sourire à travers les décombres et continuer à prier; d'autres, sauvés in extremis, témoignent de leur étonnante «conversion». Auraient-ils saisi quelque chose que nous avons peine à comprendre quand tout va bien?
«Touche à tous ses biens, mais ne touche pas à sa vie» a dit Dieu au diable qui voulait s'en prendre à Job. Y aurait-il un lien, pour certaines personnes, entre la perte de leurs biens matériels et la prise de conscience de la beauté de la vie? Faut-il perdre les uns pour s'émerveiller de l'autre avec tout ce qu'elle suppose de richesse insoupçonnée, d'amitié toute simple, de solidarité humaine?
Que resterait-t-il, par exemple, de notre Église si tous ses temples étaient détruits, comme le prédit Jésus aux disciples qui admiraient la beauté du temple de Jérusalem? Et, en plus, il demande de ne pas marcher derrière ceux ou celles qui semblent vouloir minimiser la situation!
Je me souviens avec émotion de cette pauvre femme non instruite qui s'est présentée lors d'une soirée sur l'Église. Après avoir partagé ses inquiétudes devant les bouleversements annoncés, elle s'est soudain écriée : « Je suis donc contente, je vais m'en aller chez nous et rester tranquille» - «Qu'as-tu compris?», lui demandai-je. «J'ai compris qu'on peut bien brûler monsieur le Curé, on peut bien brûler l'église, on ne peut pas brûler le Bon Dieu!»
C'est peut-être de ce qui ne peut pas brûler dont Jésus veut nous parler en nous disant de ne pas nous effrayer!
J'ai longtemps entendu dire que Jésus parlait aujourd'hui de la fin du monde. Mais non! Il parle de sa venue. Ça change la perspective. À méditer ce texte d'Évangile, dans la lumière d'une venue de Jésus, je comprends mieux pourquoi on le propose au début de l'Avent...car le premier Noël éclaire tout. La venue de Jésus dans notre vie personnelle ou collective risque de déranger, de nous remettre en question. Comme l'a fait sa naissance.
Quand Jésus naît, les hôtelleries affichent «no vacancy». Pas de place pour la vie qui accouche. Des bergers, non alourdis de sommeil, entendent les premiers un joyeux message venant des cieux. Aussi sont-ils bientôt trouvés debout près de l'enfant couché dans une mangeoire. À l'étranger, des savants discernent un signe dans le ciel. Le coeur libre et léger, ils suivent une étoile jusqu'à la maison de Marie et de Joseph. Ils apportent et offrent à Jésus, pauvre parmi les pauvres, des présents dignes d'un roi. Pensons au terrible branle-bas que la venue de cet enfant produit sur la terre habitée d'alors. Le roi Hérode, imbu de son pourvoir, se sent menacé. Sa puissance est ébranlée au point que, par lui, des malheurs sans nom arrivent aux familles dont les premiers-nés sont massacrés. Il y a de quoi mourir de peur. Tout cela causé par un enfant dont la venue dérange!
Nous appelons « Avent» ce temps qui s'écoule d'ici Noël, espérant qu'«advienne» chez-nous quelque chose de «bon et de neuf», une «bonne nouvelle». Comment alléger nos cœurs de ce qui les rend lourds? Comment nous tenir éveillés, attentifs aux signes du ciel pour discerner, dans les événements bouleversants qui font peur, des invitations à relever la tête car la venue de Jésus est là-dedans? Mais sous quels traits?
Nous rencontrons le crucifié qui, selon l'évangéliste Luc, appelle par son nom l'autre crucifié nommé : «JÉSUS», ce qui veut dire «Dieu sauve». Quel contraste avec le concert de moqueries et la boisson vinaigrée!
En révélant son lien filial avec Dieu, Jésus s'est rendu vulnérable! Le plus précieux de son identité, une fois révélé, fut utilisé comme une cible pour le viser au cœur. C'est à que l'atteignent ces gens qui le défient de se sauver lui-même pour prouver qu'il est celui qu'il dit être. La blessure de Jésus, brûlure d'impuissance face au ricanement de ses détracteurs, est sûrement plus intense que les tortures physiques!
L'un des deux autres crucifiés demande à Jésus de se souvenir de lui. Comme ç'a dû donner souffle à Jésus, lui jugé rejeté par Dieu pour avoir été condamné par des hommes, d'entendre: «souviens-toi de moi». Quelqu'un se sent si vite abandonné de Dieu quand il est abandonné par tous! Ce compagnon d'infamie fait pour Jésus ce que Jésus a fait: demander un service comme on demande à boire! Jésus retrouve la confiance de remettre entre les mains de son Père le souffle reçu de Lui! La réponse de Jésus garantit l'accomplissement d'une promesse faite aux ancêtres : être, dans la mémoire de Dieu, à l'abri de l'oubli. Même si une mère oubliait, Dieu n'oublie jamais!
Je devine l'autre crucifié bienheureux au royaume de Jésus car sa prière, adressée au Père de pardonner à ceux qui ne savent pas ce qu'ils font, est sûrement exaucée. «Si nous mourons avec Lui, avec Lui nous vivrons», chantons-nous! Comment accepterions-nous encore de qualifier l'un de 'bon' et l'autre de 'mauvais' larron? Les deux, morts avec lui, ne vivraient pas avec Jésus, envoyé non pour juger mais pour sauver!
Jésus marche AVEC deux disciples mais leurs yeux sont empêchés de le voir... Quel est donc leur empêchement? Important pour nous de le savoir puisque que Jésus entre pour rester non pas CHEZ eux mais AVEC eux...et qu'il s'est déjà engagé à marcher AVEC nous aussi jusqu'à l'accomplissement de l'histoire? Proclamer Jésus vivant n'est-ce pas affirmer que nous croyons qu'Il est AVEC nous au quotidien, sur la route où nous marchons? Qu'est-ce qui pourrait nous empêcher, nous, de le reconnaître?
Serions-nous, tels les deux disciples rejoints par Jésus sur la route du retour en arrière, prisonnier-ère-s des événements du passé alors que Jésus est sorti vivant d'un passé meurtrier? Nous ferions-nous des représentations de lui alors qu'il se présente, chaque fois, sous des visages étrangers? Jugerions-nous nos routes indignes de Jésus alors qu'il marche sur toutes nos routes sans les juger? Saint Paul a appris, à ses dépens, que Jésus est précisément celui dont il s'en allait persécuter le corps au nom de ses certitudes religieuses. Jésus a bien dit, d'ailleurs, qu'il serait celui ou celle que nous visitons, habillons, nourrissons ou encore... persécutons...
À la fraction du pain, les yeux des deux compagnons s'ouvrent. Ils reconnaissent Jésus et retournent ensuite vers la communauté des disciples. Aurions-nous à saisir, avec le cœur, que le repas avec Jésus n'est pas un point d'arrivée mais un point de ravitaillement sur la route, un lieu où raviver l'élan du retour vers les autres?
Je me souviens de cette intervention, suavement simple, que fit un homme à la toute fin d'une rencontre en paroisse : « Jésus ne nous a pas dit qu'il serait quelque part et que nous irions le rencontrer là, il a dit que là où nous serions, il serait AVEC nous...! »
Nous sommes dans la situation des disciples d'Emmaüs. Jésus ressuscité marche avec nous sur nos routes mais nos yeux sont souvent empêchés de le reconnaître. Qu'est-ce qui brouille notre vision? À quel signe reconnaître sa présence?
«Écouter pour voir» clame Radio-Canada. C'est peut-être ce que nous écoutons, donc ce par quoi nous sommes affectés, ce qui nous empêche de voir clair. Comme les disciples, nous marinons parfois dans les événements du passé : «Dans notre temps!» - «Tu ne sais pas ce qui s'est passé à Jérusalem!». Jésus est pourtant le seul à savoir... car il est passé, il a expérimenté la Vie plus forte que la mort. Heureusement, il les laisse se décharger le coeur!
Quand leurs cœurs sont libres pour une nouvelle intelligence, l'étranger leur rappelle la promesse cachée des Écritures, promesse éteinte pour eux tellement leur espérance semble morte. Peu à peu leur cœur est tisonné par une Parole chaude. Invité à entrer avant la nuit, l'étranger rompt le pain, geste réconfortant, tant de fois vécu en faisant route avec Jésus. Comme s'il faisait jour, leur vision s'ajuste à la nouvelle présence de Jésus alors même qu'il disparaît à leurs regards. Ayant repris souffle ils retournent vers la communauté.
C'est au souffle reçu que nous reconnaissons la présence du Ressuscité. Épousant visages d'étrangers, de jardiniers..., il marche toujours avec nous. On le reconnaît au souffle qui rallume l'espérance. Le connaître, Lui, c'est expérimenter «la puissance de sa résurrection», écrit saint Paul. Heureux-se qui flaire sa Présence quand, sous mille apparences, comme un bon pain frais sorti du four, il réchauffe le cœur!
Le repas d'Emmaüs n'est pas un repas d'arrivée, c'est un repas de route. Promesse tenue au fil des siècles, il nourrit de Présence réelle et envoie multiplier les alliances fraternelles.
Pas évident de reconnaître la présence de Jésus ressuscité au milieu de nous! On s'en fait souvent des idées! Les disciples, après l'avoir reconnu, ont, comme Jésus, fait des mains et des pieds pour que les premiers chrétiens ne s'imaginent pas le ressuscité comme un esprit, un fantôme.
Notre foi est d'un réalisme étonnant. Le ressuscité a vraiment un corps; il désire manger avec nous et nous demande de lui apporter le poisson que Dieu nous donne mais que nous avons pêché et grillé. Nous sommes, avec Jésus, le corps de Dieu. Jean Vanier rappelle que nous ne pouvons pas nous agenouiller devant un crucifix sans le faire devant les crucifiés d'aujourd'hui. Saint Irénée disait que nous ne communions pas plus au Christ dans l'hostie que nous communions à son corps réel que nous sommes!
Car Jésus ressuscité est la tête d'un corps dont une partie est invisible et dont l'autre, visible, est marquée de blessures vives. Pour Pascal, Christ est en agonie jusqu'à la fin des temps. Non seulement en agonie, mais il naît, grandit, meurt et ressuscite. Christ est nu, il a faim, il est malade ou en prison... Christ est habillé, nourri, soigné et visité. Christ est exclu, Christ est accueilli... Christ est vivant du Souffle divin qui est notre résilience!
Jésus mange avec nous. À chaque eucharistie, nous rappelons et confessons, en apportant pain et vin que tout vient du Dieu de l'univers... Mais aussi que la terre et nos mains ont fait leur part. Et nous offrons tout au Souffle transformateur. Chaque fois, Jésus ressuscité reconnaît son corps et son sang dans nos offrandes et il mange avec nous. Par lui, avec lui, en lui nous nous donnons à manger les unes, les uns aux autres. Christ n'est vraiment pas un fantôme!